Périmètre du must carry

L’article 34-2, I de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication pose le principe du must carry.  Cet article est la transposition en droit interne de l’article 31 de la directive n° 2002/22/CE du 7 mars 2002 concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive “service universel”), lequel instaure une obligation légale de diffusion dite ‘must carry’.

Cette obligation, qui trouve son origine dans la réglementation américaine édictée par la Federal communications commission dans les Cable Act de 1984 et 1992 pour limiter les effets du quasi-monopole des câblo-opérateurs, a pour but d’assurer à tous les téléspectateurs, en particulier ceux n’ayant accès à la télévision que par l’intermédiaire d’offres privées (par câble ou satellite à l’origine, puis par les nouveaux réseaux tels que l’ADSL ou la téléphonie mobile), l’accès aux chaînes publiques d’intérêt général dans le respect du pluralisme, de la liberté d’expression et de la diversité culturelle.

Cette règle représente donc l’obligation en France pour un distributeur de services de communication audiovisuelle de reprendre les chaînes publiques diffusées par voie hertzienne, normalement reçues dans la zone de service, ainsi que TV5 et la chaîne Réseau France Outre-mer.

Limites du must carry

Cette obligation de must carry ne permet toutefois pas aux éditeurs de sites internet d’invoquer le  droit d’accéder librement aux programmes des radiodiffuseurs (exemple : la SA France Télévisions) aux fins de leur rediffusion en simultané sur l’Internet.

L’article 1er de la loi du 30 septembre 1986 dispose que si la communication au public par voie électronique est libre, l’exercice de cette liberté par la libre retransmission des programmes audiovisuels ne peut se faire que dans le respect de la propriété d’autrui.

Le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, a rappelé que la propriété figure au nom des droits de l’homme consacrés par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et ‘que les finalités et les conditions d’exercice de ce droit ont subi depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d’application à des domaines nouveaux ; que, parmi ces derniers, figurent les droits de propriété intellectuelle et notamment le droit d’auteur et les droits voisins’.

L’article 2-1 de la loi du 30 septembre 1986 dispose que ‘pour l’application de la présente loi, les mots : distributeur de services désignent toute personne qui établit avec des éditeurs de services des relations contractuelles en vue de constituer une offre de services de communication audiovisuelle mise à disposition auprès du public par un réseau de communications électroniques au sens du 2° de l’article L 32 du code des postes et des communications électroniques’.

La condition préalable et nécessaire de relations contractuelles pour pouvoir revendiquer le statut de distributeur de services de communication audiovisuelles et, partant, l’application du ‘must carry’ permet ainsi d’assurer le respect des droits d’auteur et des droits voisins de l’éditeur de services de communication audiovisuelle et des tiers auprès desquels il a acquis ces droits, tel que prévu expressément par le second alinéa de l’article 1er de la loi.

Une déclaration effectuée auprès du CSA en application des dispositions des articles 7 et suivants du décret n° 2005-1355 du 31 octobre 2005 ‘relatif au régime déclaratif des distributeurs de services de communication audiovisuelle et à la mise à disposition du public des services d’initiative publique locale’, n’a qu’un effet déclaratif et ne saurait donc valoir autorisation ou validation de l’offre ou des activités du distributeur, ni créer un nouvel état de droit par l’application automatique à ce distributeur du ‘must carry’. En effet, l’article 10 du décret ne permet au CSA que de vérifier si le déclarant a ‘la qualité de distributeur de services au sens du deuxième alinéa du I de l’article 34 de la loi du 30 septembre 1986″, c’est-à-dire que le déclarant est bien une société, en ce compris les sociétés d’économie mixte locale, les organismes d’habitations à loyer modéré, les collectivités territoriales et leurs groupements dans les conditions prévues au II de l’article 34 précité, ainsi que les régies prévues par la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz.

Application pratique : Playmédia / France Télévisions

Dans l’affaire l’opposant à la société Playmedia, la SA France Télévisions a obtenu gain de cause. Cette dernière est bien un éditeur de services de communication audiovisuelle ainsi que le précise l’article 44, I de la loi du 30 septembre 1986 et qu’il s’ensuit que pour pouvoir prétendre à la qualité de distributeur de services de communication audiovisuelle et invoquer le ‘must carry’ à l’encontre de la SA France Télévisions, la société Playmédia devait avoir au préalable établi avec cette société une relation contractuelle en vue de constituer une offre de services de communication audiovisuelle (ce qui n’était pas le cas).

Sans avoir conclu aucun contrat de distribution de services de communication audiovisuelle avec la SA France Télévisions, la SAS Playmédia a diffusé en ‘streaming’  les programmes diffusés par cette dernière, sans payer la moindre redevance et en se finançant par l’affichage de publicités en ‘pré-roll’ avant la diffusion des programmes.  En tout état de cause, les obligations légales de diffusion (‘must carry’) doivent, aux termes de l’article 31, point 1 de la directive du 07 mars 2002, être ‘raisonnables, proportionnées, transparentes et nécessaires pour garantir la réalisation d’objectifs d’intérêt général clairement définis’ ainsi que l’a rappelé la Cour de justice de l’Union européenne au point 28 de son arrêt Kabel Deutschland Vertrieb und Service GmbH & Co du 22 décembre 2008.  Par ailleurs, l’article 34-2, I de la loi du 30 septembre 1986 ne vise expressément que les seuls services sur abonnement, or la société Playmédia ne proposait pas réellement « d’abonnement » au sens de la loi. Enfin, l’article 31, point 1 de la directive du 07 mars 2002 précise que le ‘must carry’ ne s’applique qu’aux entreprises ‘qui fournissent des réseaux de communications électroniques utilisés pour la diffusion publique de chaînes de radio et de télévision, lorsqu’un nombre significatif d’utilisateurs finals utilisent ces réseaux comme leur moyen principal pour recevoir des chaînes de radio et de télévision’ ; or, il ressort d’une étude effectuée par le CSA en février 2015 sur ‘la télévision de rattrapage’, que la télévision en direct sur Internet ne concerne qu’entre 4 et 8 % de la consommation totale de télévision en ligne, la quasi-totalité (entre 81 et 87 %) relevant de la télévision de rattrapage.  L’étude réalisée en décembre 2014 par le CNC sur  ‘les nouveaux usages audiovisuels’ relève de même que près de 80 % des téléspectateurs de plus de quinze ans regardent quotidiennement la télévision en direct ou en différé sur un téléviseur et que seulement 6 % d’entre eux la regardent quotidiennement sur un autre écran (ordinateur, téléphone mobile, tablette). Il s’ensuit que la société Playmédia ne pouvait arguer d’un nombre significatif d’utilisateurs finaux  utilisant l’Internet comme moyen principal pour recevoir des chaînes de télévision.

Le préjudice subi par la SA France Télévisions au titre des actes de contrefaçon de ses droits d’auteur et droits voisins, a été évalué à la somme de 1.000.000 €.

licence01

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Please fill the required fields*