Vie privée et procès d’assise

Une chaîne audiovisuelle a diffusé un téléfilm qui décrivait une enquête de police diligentée à la suite de la mort violente d’une femme et ayant conduit à l’arrestation de son époux, médecin légiste, dénommé Paul Villers. Le documentaire a également été diffusé  sur le site de la chaîne, retraçant, jour après jour, le procès de Paul Villers devant une cour d’assises.  Chaque internaute pouvait consulter le dossier en ligne constitué par les services de la production et donner, après chaque audience, son avis sur l’innocence ou la culpabilité de l’accusé, le verdict de la cour d’assises fictive et celui des internautes devant être diffusés à une date ultérieure.

Le « vrai » M. Muller, a été mis en examen en 2001, après la mort par arme à feu de son épouse, du chef de meurtre, avant d’être acquitté par une cour d’assises le 31 octobre 2013. S’étant  reconnu dans le personnage de Paul Villers, il a assigné avec succès la chaîne en vue d’obtenir la cessation de la diffusion de ce programme et le paiement d’une provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice.

Respect de la vie privée et liberté d’expression

Le droit au respect de la vie privée, prévu par les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil, et le droit à la liberté d’expression, régi par l’article 10 de la Convention, ont la même valeur normative ; il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.

Le téléfilm diffusé est une oeuvre de fiction, il présente, avec l’affaire dans laquelle M. Muller a été jugé, de nombreuses similitudes ; les différences minimes entre l’oeuvre de fiction et la vie de ce dernier ne suffisent pas à empêcher toute confusion, la presse ayant largement fait état de ce que l’histoire de Paul Villers était inspirée de celle de M. Muller et les réactions d’internautes montrant qu’ils ont identifié celui-ci.

Si la création audiovisuelle peut s’inspirer de faits réels et mettre en scène des personnages vivants, elle ne saurait, sans l’accord de ceux-ci, empiéter sur leur vie privée dès lors qu’elle ne présente pas clairement les éléments ressortant de celles-ci comme totalement fictifs.

Principe de proportionnalité

Le principe de la liberté d’expression consacré par le paragraphe 1er de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales peut comporter, ainsi qu’il résulte de son paragraphe 2, des restrictions et des sanctions nécessaires, dans une société démocratique, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui ; tel est l’objet de l’article 9 du code civil, qui donne au juge, par des dispositions précises, le pouvoir d’ordonner toute mesure propre à empêcher ou à faire cesser les atteintes au droit au respect de la vie privée ainsi qu’à réparer le préjudice qui en résulte.

C’est sans méconnaître les exigences de ces textes, ni de l’article 809 du code de procédure civile, et par une mesure en proportion avec l’atteinte qu’elle avait caractérisée, que, constatant l’ampleur de celle portée au droit au respect de la vie privée de M. Muller et la publicité mise en oeuvre lors de la campagne promotionnelle du programme « Intime Conviction » et de la diffusion multimédia de celui-ci, dans lequel il était proposé de le rejuger, la cour d’appel a pu en déduire que les faits présentaient une gravité telle que seule la cessation sans délai de la diffusion de ce programme, sous astreinte de 50 000 euros par diffusion de celui-ci dans son intégralité ou par extraits sur quelque support que ce soit, était de nature à faire cesser le trouble manifestement illicite subi par M. Muller.

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