29 juin 2022
Cour d’appel de Toulouse
RG n°
22/00315

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

Minute 2022/318

N° RG 22/00315 – N° Portalis DBVI-V-B7G-O3OZ

O R D O N N A N C E

L’an DEUX MILLE VINGT DEUX et le 29 juin à 13h45

Nous , C.ROUGER,, magistrat délégué par ordonnance du Premier Président en date du 21 DECEMBRE 2021 pour connaître des recours prévus par les articles L. 743-21 et L.342-12, R.743-10 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Vu l’ordonnance rendue le 25 Juin 2022 à 17H07 par le juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Toulouse ordonnant le maintien au centre de rétention de :

[V] [M]

né le [Date naissance 1] 1997 à [Localité 9] (ALGERIE) (99)

de nationalité Algérienne

Vu l’appel formé le 27/06/2022 à 15 h 39 par télécopie, par Me Aïda BARHOUMI DECLUSEAU, avocat au barreau de TOULOUSE;

A l’audience publique du 29/06/2022 à 09h45, assisté de K. MOKHTARI avons entendu:

[V] [M]

assisté de Me Aïda BARHOUMI DECLUSEAU, avocat au barreau de TOULOUSE

qui a eu la parole en dernier

avec le concours de [Y] [H], interprète, qui a prêté serment,

En l’absence du représentant du Ministère public, régulièrement avisé;

En l’absence du représentant de la PREFECTURE DE L’AUDE régulièrement avisée, qui a fait parvenir un mémoire ;

avons rendu l’ordonnance suivante :

M.[V] [M] né le [Date naissance 1] 1997 à [Localité 9] (Algérie, arrondissement d’Alger), de nationalité algérienne, a été contrôlé le 22 juin 2022 entre 15h30 et 16h à la gare de [Localité 5] (Aude) alors que les services de gendarmerie venaient d’être informés d’un vol de valise dans le train reliant [Localité 7] à [Localité 3] et que l’auteur dont la description physique et vestimentaire leur était donnée était descendu dans ladite gare. Après contrôle d’identité en application de l’article 78-1 du code de procédure pénale et vérification au fichier des personnes recherchées où il apparaissait qu’il faisait l’objet d’un ordre de quitter le territoire français, il était interpellé par les militaires de la COB Lézignan Corbières. Il faisait alors l’objet d’une mesure de retenue pour contrôle de sa situation administrative en application des dispositions des articles L812-1 et L 812-2 du Ceseda qui lui était notifiée le 22 juin 2022 à 16h30, à compter de 16h, heure de la vérification d’identité, par le truchement de Mme [F] [K], interprète en langue algérienne, par téléphone.

Détenteur uniquement d’une carte d’identité algérienne, il s’avérait qu’il faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français sans délai portant interdiction de retour pendant deux ans prise par le Préfet de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Préfet des Bouches du Rhône en date du 8/01/2022 , notifiée à [Localité 4] par le truchement d’un interprète le 8/01/2022 à 18 h.

Dans le cadre de la procédure de retenue, il indiquait avoir quitté l’Algérie sur un bateau de type Zodiac le 25 septembre 2021 jusqu’à [Localité 6], ayant payé un passeur algérien, avoir fait l’objet d’un contrôle et d’une obligation de quitter le territoire français en janvier 2022, être parti en Suisse où il serait resté environ un mois, puis ne s’y plaisant pas, être allé jusqu’à [P] en Espagne où il serait resté aussi un mois, pour revenir courant avril en France, à [Localité 3] puis à [Localité 7] où il travaillait dans les vignes. Il indiquait avoir uniquement compris qu’il était interdit de séjour sur [Localité 6]. Il disait avoir laissé son passeport en Algérie, ne pas disposer de justificatif d’hébergement, ne pas disposer de papiers ni de titre de séjour, ne pas avoir entrepris de démarches en ce sens et déclarait souhaiter rester en France. A l’issue de la procédure de retenue lui était notifié par le truchement d’un interprétariat ISM par téléphone le 23 juin 2022 à 11h42 un arrêté préfectoral portant placement en rétention administrative pris par le Préfet de l’Aude le 23 juin 2022, signé par Mme [J] [E], adjointe à la cheffe du bureau de l’Immigration et de la nationalité.

Par requête arrivée au greffe du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Toulouse le 24 juin 2022 à 15h42, le Préfet de l’Aude sollicitait la prolongation de la mesure de rétention administrative de M. [V] [M] né le [Date naissance 1] 1997 en Algérie afin d’organiser son départ du territoire français.

Le même jour le Préfet de l’Aude sollicitait auprès du Consul d’Algérie un laissez-passer consulaire, indiquant joindre divers documents relatifs à l ‘intéressé, les références de la carte nationale d’identité, précisant que les photographies d’identité et les empreintes seraient remises par l’escorte à l’occasion du rendez-vous d’audition du mercredi 29 juin à 14h30.

Par ordonnance du 25 juin 2022 à 17h07 le juge des libertés et de la détention, rejetant les moyens de nullité de la procédure soulevés par le retenu assisté d’un conseil, a déclaré recevable la demande de prolongation de la rétention et ordonné la prolongation de la rétention de M. [V] [M] pour une durée de 28 jours.

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour d’appel le 27 juin 2022 à 15h39 M. [V] [M] ayant pour avocat Mme [L] [B] a interjeté appel de cette décision, sollicitant l’infirmation de l’ordonnance entreprise, l’annulation de la mesure de rétention administrative et sa mise en liberté immédiate.

Au soutien de son appel il invoque in limine litis l’irrégularité de la procédure pour plusieurs motifs à savoir :

-l’absence d’identité de l’étranger concerné dans l’ordonnance du juge des libertés et de la détention (nom, prénom, date et lieu de naissance, nationalité),

-la notification de ses droits en retenue et la réalisation de son audition par interprétariat téléphonique sans qu’il soit justifié de la nécessité de recourir à cette modalité au regard des dispositions de l’article L 141-3 alinéa 2 du Ceseda alors qu’il était retenu depuis le 22 juin à 16h05 ce qui permettait d’anticiper la nécessité de trouver un interprète, soutenant un vice de procédure sans qu’il ait à justifier d’un grief,

-l’appel tardif à un avocat alors qu’il a exprimé le souhait d’être assisté par un avocat commis d’office le 22 juin à 17h et que l’avis à avocat n’a été effectué que le lendemain 23 juin à 8h40, cette difficulté liée à l’exercice de ses droits lui portant nécessairement grief,

-l’absence d’acte procédural pendant plus de 17 heures postérieurement à la notification de ses droits et à son audition.

Les prétentions et moyens de l’appelant ont été développés oralement par son avocat à l’audience du 29 juin 2022 à 9h45.

Le Préfet de l’Aude a adressé un mémoire peu avant l’audience devant le magistrat délégué par le Premier président de la cour d’appel, sollicitant la confirmation de l’ordonnance entreprise et le maintien de l’intéressé en rétention administrative. Il indique que l’identité de M.[M] est mentionnée à sept reprises dans l’ordonnance, que le recours à l’interprétariat téléphonique est prévu par l’article L 141-3 du Ceseda et que l’intéressé ne justifie d’aucun grief dans la mesure où il a été en mesure de comprendre ses droits, de les exercer et de s’exprimer lors de son audition , que l’avocat a été contacté par les gendarmes dès le 22 juin 2022 puis le lendemain par la police aux frontières, aucun avocat d’office n’étant disponible, que la rétention administrative a duré moins de vingt-quatre heures aucun grief n’en résultant.

M.[M] qui a eu la parole en dernier a indiqué souhaiter être relâché et qu’il avait de la famille en France.

SUR CE,

* Sur l’irrégularité tirée de l’absence des données complète d’identité de la personne objet de la mesure de prolongation dans la décision du juge des libertés et de la détention

Selon les dispositions de l’article 454 du code de procédure civile le jugement comporte notamment les noms, prénoms ou dénomination des parties ainsi que leur domicile ou siège social . Au regard de l’article 458 du même code, cette prescription n’est pas imposée à peine de nullité de la décision. Au demeurant, la décision entreprise ne laisse aucune incertitude sur l’identité de la personne objet de la mesure de prolongation, dès lors que ses nom et prénom , [V] [M] , y sont expressément indiqués comme étant la personne faisant l’objet de la mesure de prolongation de la rétention , que l’exposé succinct du litige fait référence expresse à l’arrêté préfectoral du 8 janvier 2022 portant obligation de quitter le territoire sans délai ainsi qu’à la décision de placement en rétention de l’autorité administrative du 23 juin 2022 concernant le susnommé, décisions portant expressément mention outre de son identité complète, de sa date de naissance, 10/08/1997, de son lieu de naissance [Localité 9] (arrondissement d'[Localité 2]) ou Algérie ainsi que de sa nationalité (algérienne) de sorte qu’il n’existe aucune ambiguïté sur l’identité de la personne objet de la mesure de prolongation de la rétention. Aucune nullité de la procédure n’est donc justifiée de ce chef.

* Sur l’interprétariat téléphonique

Selon les dispositions de l’article L 141-3 du Ceseda l’assistance de l’interprète est obligatoire si l’étranger ne parle pas le français et qu’il ne sait pas lire. En cas de nécessité, l’assistance de l’interprète peut se faire par l’intermédiaire de moyens de communication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu’à un interprète inscrit sur une liste établie par le procureur de la République ou à un organisme d’interprétariat et de traduction agréé par l’administration. Le nom et les coordonnées de l’interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l’étranger.

En l’espèce, le placement en retenue a été notifié à M.[M] le 22 juin 2022 à 16h 30, alors qu’il venait d’être interpellé par les militaires de la COB Lézignan Corbières à 16h, par le truchement de Mme [F] [K] interprète en langue arabe, qui dans l’impossibilité de se déplacer immédiatement a procédé par téléphone à la traduction simultanée mot à mot du procès-verbal. Compte tenu des nécessités de notification rapide de la mesure de retenue et des droits de la personne retenue ainsi que de la localisation de cette retenue ([Localité 5]), la mention portée au procès-verbal de l’impossibilité pour l’interprète en langue arabe requis de se déplacer immédiatement suffit à caractériser la nécessité du recours à un interprétariat par téléphone.

Par ailleurs, sur instructions du Préfet de l’Aude, l’unité de la COB Lézignan Corbières, laquelle au vu des éléments fournis n’avait pas été en mesure d’apprécier le droit de circulation ou de séjour du retenu a fait une demande auprès des autorités françaises en collaboration avec les services de la police aux frontières du département de l’Aud, procédure dont le procureur de la République de Narbonne a été informé, et a remis M.[V] [M] aux services de la police aux frontières française de Porte la Nouvelle le 23 juin 2022 à 8h30 à l’issue de sa période de repos dans les locaux de son unité (du 22 juin 19h30 au 23 juin 8h30). Dès 10h le brigadier chef de police à [Localité 8] a pris attache téléphoniquement avec un interprète habilité en langue arabe, à savoir Mme [X] [G], laquelle a informé être dans l’impossibilité de se déplacer immédiatement dans les locaux de [Localité 8], mais être disponible pour une traduction par téléphone par le biais de la plateforme téléphonique ISM INTERPRETARIAT pour laquelle elle était habilitée. Ces circonstances suffisent à caractériser la nécessité en l’espèce de recourir à un interprétariat téléphonique pour l’audition de M.[V] [M] réalisée le 23 juin 2022 à 10 heures.

Aucune nullité n’est encourue du chef du recours à un interprétariat téléphonique tant au stade de la notification de la retenue et des droits de l’intéressé que de son audition dès lors que ce recours a été rendu nécessaire par l’impossibilité pour les interprètes requis de se déplacer immédiatement le premier à [Localité 5], le second à [Localité 8].

*Sur l’assistance de l’avocat

Lors de la notification de ses droits en retenue M.[M] a sollicité qu’un avocat d’office lui soit désigné pour l’assister. L’unité de la COB de Lézignan Corbières indique dans le procès-verbal de synthèse « Avis à l’Avocat » « L’avocat désigné ci-avant à été avisé le 22 juin 2022 et informé de la nature et de la date présumée des faits motivant la mesure dont fait l’objet [V] [M] ». Il n’est néanmoins nullement indiqué quel Barreau ni à quelle heure un appel aurait adressé pour obtenir une désignation d’office, ni quel avocat a été commis d’office pour assister M.[M]. Or l’avis à l’avocat doit être fait par tous moyens et sans délai, les diligences accomplies en ce sens devant être mentionnées dans un procès-verbal. Il n’est donc pas justifié en l’espèce de l’appel pour désignation d’un avocat d’office contrairement à ce que le retenu avait sollicité dans le cadre de l’exercice de ses droits.

C’est le brigadier chef de police de [Localité 8], après la remise de l’intéressé à ses services à 8h30, qui a pris attache le 23 juin 2022 dès 8h40 avec la permanence Avocat du Barreau de Narbonne, précisant avoir été informé par Me [S] qu’aucun avocat commis d’office n’était actuellement disponible et qu’aucun ne serait disponible dans un délai raisonnable, en tout cas pas avant midi. M.[M] a finalement été entendu le 23 juin à 10 h après avoir indiqué qu’il ne souhaitait pas être assisté par un avocat durant son audition, le procès-verbal précisant qu’il avait renoncé à l’assistance d’un avocat en raison de l’indisponibilité de ce dernier. Il a été mis fin à la mesure de retenue le 23 juin 2022 à 11h40.

Il ressort de ses éléments que bien qu’ayant exprimé le souhait d’être assisté par un avocat dès la notification de ses droits en retenue le 22 juin 2022 à 16h30, de fait aucun avocat n’a été avisé immédiatement après cette requête et que ce n’est que le lendemain à 8h30 qu’un avocat a finalement été effectivement avisé, ne pouvant se rendre disponible avant la levée de la mesure, M.[M] ayant été contraint de renoncer à l’assistance d’un avocat lors de son audition du 23 juin à 10H. M.[M] a donc été privé par défaut de diligence de l’exercice de son droit fondamental à l’assistance d’un avocat pendant la procédure de retenue ce qui lui occasionne nécessairement un grief, et a pour conséquence d’entraîner la nullité de la mesure de retenue dont il a fait l’objet ainsi que de ses suites, dont la procédure de rétention administrative.

En conséquence, infirmant l’ordonnance entreprise, M.[M] doit être remis immédiatement en liberté.

PAR CES MOTIFS :

DECLARONS M.[V] [M] recevable et bien fondé en son appel

INFIRMONS l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Toulouse du 25 juin 2022 à 17h07 en toutes ses dispositions

DECLARONS la procédure de retenue dont il a fait l’objet irrégulière ainsi que la procédure de rétention qui a suivi

ORDONNONS la remise en liberté immédiate de M.[V] [M]

Disons que la présente ordonnance sera notifiée à la PREFECTURE DE L’AUDE, service des étrangers, à [V] [M], ainsi qu’à son conseil et communiquée au Ministère Public.

LE GREFFIERLE MAGISTRAT DELEGUE

K. MOKHTARI .C.ROUGER.

 

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