5 août 2022
Cour d’appel de Toulouse
RG n°
22/00432

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

Minute 2022/435

N° RG 22/00432 – N° Portalis DBVI-V-B7G-O6FN

O R D O N N A N C E

L’an DEUX MILLE VINGT DEUX et le 05 Aout à 17h30

Nous M. DOUCHEZ-BOUCARD, Conseiller, magistrat délégué par ordonnance du Premier Président en date du 06 JUILLET 2022 pour connaître des recours prévus par les articles L. 743-21 et L.342-12, R.743-10 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Vu l’ordonnance rendue le 04 Août 2022 à 17H06 par le juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Toulouse ordonnant le maintien au centre de rétention de :

[O] [P]

né le 16 Avril 1996 à MOSTAGANEM – ALGERIE (48100)

de nationalité Algérienne

Vu l’appel formé le 05/08/2022 à 01 h 08 par courriel, par Me Flor TERCERO, avocat au barreau de TOULOUSE;

A l’audience publique du 05/08/2022 à 15h00, assisté de K.BELGACEM lors des débats et K. MOKHTARI lors de la mise à disposition, greffiers avons entendu :

[O] [P]

assisté de Me Flor TERCERO, avocat au barreau de TOULOUSE

qui a eu la parole en dernier ;

avec le concours de [J] [T], interprète, qui a prêté serment,

En l’absence du représentant du Ministère public, régulièrement avisé;

En présence de M.[X] représentant la PREFECTURE DE GIRONDE ;

avons rendu l’ordonnance suivante :

M.[O] [P], né le 16 avril 1996, à MOSTAGANEM (Algérie) fait l’objet d’un arrêté portant obligation de quitter le territoire français (ci-après OQTF) sans délai, assortie d’une interdiction de retour d’un durée d’une année délivré le 3 janvier 2022, par le Préfet du Loiret, notifié à sa personne le 6 janvier 2022, à la suite d’une interpellation pour des faits d’agression sexuelle. Cette décision administrative faisait suite à une première OQTF délivrée le 8 décembre 2020 par le préfet de la Haute-Vienne, confirmée par un jugement du tribunal administratif de Limoges du 20 mai 2021.

Interpellé à [Localité 1], le 31 juillet 2022, à 16 h 30, pour des vols à l’étalage, il a été placé en garde à vue, le jour même et s’est vu notifier le 2 août 2022, à 11 heures, un arrêté préfectoral de Gironde du jour même, de placement dans des locaux ne relavant pas l’administration pénitentiaire. Cette mesure a été exécutée au Centre de Rétention de [Localité 3]/[Localité 2].

Le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Toulouse a, par ordonnance du 4 août 2022 à 17 h 06, ordonné la prolongation de cette rétention pour une durée de 28 jours, après avoir rejeté les moyens de nullité soulevés, prononcé la jonction de la requête en contestation du placement en rétention et de la requête en prolongation de la rétention, déclaré régulier l’arrêté de placement en rétention administrative, constaté que la procédure était régulière.

M.[O] [P] a interjeté appel le 5 août 2022, à 01 h 08 de cette ordonnance par l’intermédiaire de son conseil. Il demande à la cour de l’infirmer, de l’annuler et d’ordonner sa mise en liberté immédiate.

– avant toute défense au fond, il soulève la nullité de la mesure de garde à vue, aux motifs qu’il n’aurait pas été destinataire d’un formulaire relatif à ses droits de garde à vue avant que ceux-ci ne lui soit notifiés dans sa langue maternelle, une heure après par le truchement d’un interprète ; que le certificat médical du médecin qui s’est déplacé pour l’examiner n’est pas joint à la procédure et que sa décision relative à la compatibilité de sa garde à vue avec son état de santé est inconnue ; qu’il n’est pas démontré que le fichier des empreintes génétiques et décadactylaires (FAED) et le fichier des personnes recherchées ont été consultés par des agents de police judiciaire habilités à le faire et ce en méconnaissance de l’article 8 de la CEDH et d’un arrêt de la cour de cassation du 14 octobre 2020 ; que les dispositions de l’article 62-2 du code de procédure pénale ont été méconnues ainsi que l’objectif de la garde à vue puisqu’il a en réalité été maintenu dans les locaux de la police entre le 1er août 2022 à 17 h 37 et la levée de la mesure le lendemain à 10 h 45 sans qu’il ne soit procédé à aucun acte d’enquête ;

– le placement en rétention est irrégulier d’une part en l’absence de justification des diligences au titre du règlement 604/2013 dit Dublin III relatif la détermination de l’état responsable d’une demande d’asile, alors qu’il a déposé une demande d’asile aux Pays Bas et en Allemagne et d’autre part compte tenu de la tardiveté des diligences effectuées auprès des autorités algériennes.

Le représentant de Mme la préfète de la Gironde est présent à l’audience et sollicite de la cour la confirmation de l’ordonnance déférée.

Le ministère public, avisé de la date d’audience, est absent et n’a pas formulé d’observations.

L’appelant a eu la parole en dernier.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l’appel

L’appel interjeté dans les formes et les délais légaux est revecable.

Sur les moyens tirés de l’irrégularité de la procédure de garde à vue

S’agissant des moyens d’irrégularité de la procédure ayant précédé le placement en rétention de M.[O] [P], il sera prioritairement examiné celui tiré du défaut d’habilitation de l’agent ayant consulté les fichiers centraux.

Au regard de l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée que constituent, au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la conservation dans un fichier automatisé notamment des empreintes digitales d’un individu identifié ou identifiable et la consultation de ces données, l’habilitation des agents à les consulter est une garantie institutionnelle édictée pour la protection des libertés individuelles.

L’article L.142-2 du CESEDA dispose en outre que ‘en vue de l’identification d’un étranger qui n’a pas justifié des pièces ou documents mentionnés à l’article L. 812-1 ou qui n’a pas présenté à l’autorité administrative compétente les documents de voyage permettant l’exécution d’une décision de refus d’entrée en France, d’une interdiction administrative du territoire français, d’une décision d’expulsion, d’une mesure de reconduite à la frontière, d’une décision portant obligation de quitter le territoire français, d’une interdiction de retour sur le territoire français ou d’une peine d’interdiction du territoire français ou qui, à défaut de ceux-ci, n’a pas communiqué les renseignements permettant cette exécution, les données des traitements automatisés des empreintes digitales mis en ‘uvre par le ministère de l’intérieur peuvent être consultées par les agents expressément habilités des services de ce ministère dans les conditions prévues par le règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés’.

Force est de constater en l’espèce que le rapport du fichier automatisé des empreintes digitales (FAED), obtenu à l’aide de l’identité de l’étranger, a été annexé à la procédure d’enquête et donc consulté par un fonctionnaire de police du service d’appui judiciaire, agent de police judiciaire, signataire du procès-verbal d’investigations n° 2022/14215/9, dressé le 1er août 2022 alors qu’aucune mention ne figure au dossier sur son habilitation pour procéder à une telle consultation. Or, il résulte des dispositions de l’article 8 du décret n° 87-249 du 8 avril 1987, énumérant les personnes pouvant accéder au FAED que “les fonctionnaires et militaires individuellement désignés et habilités des services d’identité judiciaire de la police nationale, du service central de renseignement criminel de la gendarmerie nationale ainsi que des unités de recherches de la gendarmerie nationale peuvent seuls avoir accès aux données à caractère personnel et aux informations contenues dans le traitement”.

Il en est de même pour la consultation du FPR qui figure au dossier sans aucune mention relative à la personne qui l’a sollicitée, alors que l’article 5, 1° du décret n° 2017-1219 du 28 mai 2010, précise que “Peuvent seuls avoir accès aux données à caractère personnel et informations enregistrées dans le fichier des personnes recherchées, dans le cadre de leurs attributions légales et pour les besoins exclusifs des missions qui leur sont confiées : […]1°”Les agents des services de la police nationale individuellement désignés et spécialement habilités soit par les chefs des services territoriaux de la police nationale, soit par les chefs des services actifs à la préfecture de police ou, le cas échéant, par le préfet de police, soit par les chefs des services centraux de la police nationale ou, le cas échéant, par le directeur général dont ils relèvent ;

En l’espèce, il ne résulte pas des pièces du dossier que le ou les fonctionnaires ayant consulté les fichiers d’empreintes et celui des personnes recherchées, étai(en)t expressément habilité(s) à cet effet.

Dès lors, la procédure se trouve entachée d’une nullité d’ordre public, sans que l’étranger qui l’invoque ait à démontrer l’existence d’une atteinte portée à ses droits.

Cette nullité ne saurait donc être couverte par une présomption d’habilitation tirée de la consultation de ces dossiers alors que les textes précités évoquent une désignation et une habilitation supposant que le dossier comporte des mentions suffisantes permettant au juge de pouvoir vérifier, au minimum par voie d’une mention spécifique, l’existence d’une désignation nominative et d’une habilitation par l’autorité compétente préalablement à l’acte de recherche sur ces fichiers.

Il s’en suit que cette irrégularité commise dans le cadre de la procédure de garde à vue de l’étranger entache la régularité du placement en rétention administrative qui s’en est immédiatement suivi de sorte que la décision querellée doit être infirmée sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens soulevés.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par ordonnance mise à disposition au greffe après avis aux parties :

Infirmons l’ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Toulouse le 4 août 2022 ;

Ordonnons la mainlevée du placement en rétention de M.[O] [P] ;

Rappelons à M.[O] [P] qu’il demeure soumis à une obligation de quitter le territoire français sans délai;

Disons que la présente ordonnance sera notifiée à la Préfecture de la Gironde, service des étrangers, à M.[O] [P], ainsi qu’à son conseil et communiquée au Ministère Public.

LE GREFFIERLE MAGISTRAT DELEGUE

K. MOKHTARI M. DOUCHEZ-BOUCARD

 

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