24 novembre 2022
Cour d’appel de Lyon
RG n°
21/07189

N° RG 21/07189 – N° Portalis DBVX-V-B7F-N3N2

Décision du

TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LYON

Au fond

du 08 septembre 2021

RG : 20/00515

ch n°

LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE LYON

LA PROCUREURE GENERALE

C/

[R]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

2ème Chambre B

ARRET DU 24 Novembre 2022

APPELANTS :

M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE LYON

TJ de Lyon [Adresse 4]

[Localité 5]

Mme LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 1]

[Localité 6]

représentée par Mme Laurence CHRISTOPHLE, substitut général

INTIME :

M. [I] [R]

né le 20 Juin 1995 à [Localité 13] (CAMEROUN)

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représenté par Me Lucie BOYER, avocat au barreau de LYON, toque : 2173

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 27 Septembre 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 13 Octobre 2022

Date de mise à disposition : 24 Novembre 2022

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Anne-Claire ALMUNEAU, président

– Carole BATAILLARD, conseiller

– Françoise BARRIER, conseiller

assistés pendant les débats de Priscillia CANU, greffier

en présence d’Emmanuelle RENARD, avocate stagiaire

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Anne-Claire ALMUNEAU, président, et par Priscillia CANU, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [I] [R], né le 20 juin 1995, à [Localité 13] (Cameroun), fils de Mme [F] [N], a été reconnu par M. [C] [R], de nationalité française, le 4 novembre 2004, à [Localité 11] (Rhône), un mois avant le mariage de celui-ci avec Mme [F] [N] le 4 décembre 2004. L’enfant est arrivé en France en 2008 à l’âge de 9 ans, après que le consulat de France lui ait délivré le 4 septembre 2008 un laissez-passer.

Le 28 novembre 2008, le tribunal d’instance de Lyon lui a délivré un certificat de nationalité française, eu égard à sa filiation paternelle, sur le fondement de l’article 18 du code civil.

Le 16 juin 2009, M. [I] [R] s’est vu délivrer une carte nationale d’identité française.

Par jugement du 10 janvier 2013, après saisine par le procureur de la République près le tribunal de Lyon, le tribunal de grande instance de Lyon a annulé plusieurs reconnaissances litigieuses concernant les six enfants de Mme [N], reconnus par deux hommes différents, dont M. [C] [R], à quelques mois d’intervalle seulement, un enfant ayant même été reconnu par les deux hommes et tous les enfants ne pouvant être nés de la même mère au vu de leurs dates de naissance, M. [C] [R] ayant au surplus admis qu’il s’agissait bien de reconnaissances mensongères, y compris s’agissant de la reconnaissance de [I] en date du 4 novembre 2004. Lors de cette procédure, M. [I] [R], alors mineur, était représenté par Mme la présidente de la commission des mineurs en qualité d’administrateur ad hoc et par un avocat.

Par jugement réputé contradictoire (et non contradictoire comme indiqué par erreur dans son dispositif) du 9 juillet 2015, là encore après saisine par le procureur de la République près le tribunal de Lyon, le même tribunal a constaté l’extranéité de M. [I] [R], né le 20 juin 1995 à [Localité 13] au Cameroun. M. [I] [R], majeur depuis le 21 juin 2013, soit avant la délivrance de l’assignation, et sa mère étaient non-comparants à l’instance, après que l’huissier instrumentaire ait délivré le 24 juillet 2014, deux procès-verbaux de recherches infructueuses pris en application des dispositions de l’article 659 du code de procédure civile à une adresse où ils n’habitaient plus: au [Adresse 9]. La signification de ce jugement a eu lieu à la même adresse le 8 octobre 2015, toujours par procès-verbal de recherches infructueuses pris en application des dispositions de l’article 659 du code de procédure civile, les diligences de l’huissier ayant été identiques dans les deux cas (pièces 18 et 20 de M. [I] [R]). Aucun appel n’a été interjeté à l’encontre de ce jugement.

Le 21 septembre 2015, M. [I] [R] a participé à la journée de défense et de citoyenneté.

Les deux jugements du 10 janvier 2013 et du 9 juillet 2015 ont été transcrits sur les registres d’état civil et donc en marge de l’acte de naissance de M. [R] le 26 janvier 2016.

Le 18 août 2016, à [Localité 12] (Rhône), naissait l’enfant [W], reconnu par M. [I] [R] le 5 mars 2016, né de sa relation avec Mme [H] [A], née le 22 novembre 1990 à [Localité 10], ce mineur étant de toute évidence de nationalité française pour être né en France d’une mère française.

Le 14 novembre 2016, M. [I] [R] s’est vu adresser un courrier de la préfecture du Rhône lui demandant restitution de ses titres d’identité et de voyage, mais ce courrier ne l’a pas touché, étant revenu porteur de la mention ‘destinataire inconnu à l’adresse’, de sorte qu’un procès-verbal de carence a été dressé, puis que ses titres ont été invalidés informatiquement et qu’il a été inscrit au fichier des personnes recherchées, avant de faire l’objet d’un contrôle de police au mois de mai 2017, au cours duquel il a remis son passeport. Il était prévu qu’il se présente au commissariat de police le 20 mai 2017 pour restituer sa carte nationale d’identité, ce qu’il n’a pas fait, étant manifestement resté en possession de celle-ci dont une copie figure parmi ses pièces.

Par requête en rectification d’erreur matérielle reçue au greffe le 3 août 2017, M. [I] [R] a demandé au tribunal de grande instance de Lyon de rectifier le jugement du 9 juillet 2015, estimant que celui-ci comporte des erreurs matérielles, seule sa soeur [V], dont le certificat de nationalité figure au dossier étant selon lui concernée par la procédure. Par des conclusions ultérieures, il demandait la rectification des erreurs matérielles et la rétractation du jugement.

Par jugement contradictoire du 19 janvier 2019, la requête en rectification et en rétractation de M. [I] [R] a été rejetée et il a été condamné aux dépens de l’instance, le juge faisant observer que la procédure applicable aux erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement ne peut être utilisée en l’espèce, s’agissant de moyens soulevés qui portent sur la régularité de la citation et le respect du contradictoire, et que la rétractation n’est pas non plus possible s’agissant d’un jugement réputé contradictoire non susceptible d’opposition puisque la voie de l’appel restait ouverte.

Le 18 avril 2019, M. [I] [R] a souscrit une déclaration de nationalité française devant la directrice des services de greffe judiciaires du tribunal d’instance de Lyon, sur le fondement de l’article 21-13 du code civil, demandant à bénéficier de la possession d’état de la qualité de français.

Par décision du 25 juin 2019, notifiée le 26 juin 2019 par courrier recommandé, la directrice des services de greffe judiciaires du tribunal d’instance de Lyon a refusé l’enregistrement de cette déclaration de nationalité française au motif qu’elle n’a pas été souscrite dans un délai raisonnable, le jugement ayant constaté son extranéité ayant été rendu le 9 juillet 2015 et M. [I] [R] ayant eu connaissance de cette décision au mois de mai 2017 (date de restitution de son passeport aux services de police), la procédure en rectification d’erreur matérielle initiée par requête du 3 août 2017 ne pouvant être assimilée à l’exercice d’une voie de recours contre un jugement qualifié de contradictoire, rendu en premier ressort.

Par assignation délivrée le 24 décembre 2019 au procureur de la République près le tribunal de Lyon, M. [I] [R] a demandé l’annulation de la décision du 25 juin 2019 et qu’il soit dit qu’il a acquis la nationalité française.

Par jugement contradictoire du 8 septembre 2021, auquel il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé du litige, le tribunal judiciaire de Lyon, a :

– constaté que le récépissé prévu par l’article 1043 du code de procédure civile a été délivré,

– dit que M. [R] est français par possession d’état,

– ordonné la mention prévue à l’article 28 du code civil,

– laissé les dépens à la charge de l’État.

Ce jugement a été signifié au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon le 24 septembre 2021.

Par déclaration reçue au greffe le 27 septembre 2021, le procureur de la République près du tribunal judiciaire de Lyon a interjeté appel de cette décision, la portée de l’appel concernant l’acquisition de la nationalité française et sa transcription à l’état civil.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 14 décembre 2021, Mme la procureure générale près la cour d’appel de Lyon demande à la cour, après avoir constaté que le récépissé prévu par l’article 1043 du code de procédure civile a été délivré :

– d’infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, débouter M. [R] de l’ensemble de ses demandes,

– de dire que M. [I] [R], né le 20 juin 1995 à [Localité 13] (Cameroun), n’est pas de nationalité française,

– d’ ordonner la mention prévue par l’article 28 du code civil,

– de condamner M.[R] aux entiers dépens.

Au soutien de son appel, elle retient que :

1/ Sur l’application de l’article 21-13 du code civil :

La possession d’état de français est le fait pour l’intéressé de s’être considéré comme tel et d’avoir été traité et regardé comme tel par les autorités publiques. Elle est établie par un ensemble d’éléments, dont l’appréciation est purement objective et qui traduisent l’apparence du lien de nationalité unissant une personne à l’État français. Pour être efficace, la possession d’état, qui se caractérise par un faisceau d’éléments échelonnés dans le temps pendant la période de dix ans fixée par l’article 21-13 du code civil, doit être constante, continue, non équivoque et ne pas avoir été constituée ou maintenue par fraude ou de mauvaise foi. En outre, la déclaration doit être souscrite dans un délai raisonnable suivant la connaissance, par l’intéressé, de son extranéité

2/ – Sur le défaut de délai raisonnable :

2-1 – Sur le jugement du tribunal de grande instance de Lyon du 9 juillet 2015 :

Par jugement réputé contradictoire en date du 9 juillet 2015, le tribunal de grande instance de Lyon a constaté l’extranéité de M. [R]. Ce jugement a été régulièrement signifié le 8 octobre 2015 à la dernière adresse connue de M. [I] [R] [Adresse 8]. Le procès-verbal de l’huissier mentionne qu’il a rencontré plusieurs résidents présents sur les lieux qui lui ont indiqué ne pas le connaître, que n’ayant pas connaissance d’un employeur et ne pouvant pas interroger les services administratifs en raison de l’absence de mandat d’exécution, il a effectué des recherches sur l’annuaire téléphonique mais que M. [R] n’y figurait pas, et enfin que ces recherches ne lui ont pas permis de retrouver le destinataire de l’acte, sans domicile ni résidence connus, et qu’il a dû dresser un procès-verbal de recherches infructueuses conformément à l’article 659 du code de procédure civile. Ainsi, les diligences effectuées par l’huissier sont utiles et suffisantes, ce qui fait que le jugement a été régulièrement signifié. Aucun appel n’ayant été régularisé, le jugement d’extranéité est devenu définitif le 8 novembre 2015.

2-2- Sur le délai raisonnable:

M. [I] [R] reconnaît qu’il a eu connaissance de son extranéité lors d’un contrôle de police au mois de mai 2017, qui faisait suite à un courrier du 14 novembre 2016, dans lequel la Préfecture du Rhône lui demandait la restitution de ses titres d’identité et de voyage. Ce courrier est revenu avec la mention ‘destinataire inconnu à l’adresse’ de sorte qu’un procès-verbal de carence a été dressé, les titres ont été invalidés et qu’il a été inscrit au fichier des personnes recherchées. Lors du contrôle de police, il n’a restitué que le passeport et devait se présenter au commissariat de police le 20 mai 2017 pour restituer sa carte nationale d’identité, ce qu’il n’a pas fait. Il en résulte qu’il a eu connaissance de son extranéité lors de ce contrôle de police, mais qu’il a attendu le 18 avril 2019, soit deux ans après, pour souscrire une déclaration de nationalité française sur le fondement de l’article 21-13 du code civil, dans un délai qui ne peut être qualifié de raisonnable à compter de la connaissance par lui de son extranéité.

2-3- Sur l’appréciation du délai raisonnable par le jugement déféré :

Le tribunal a considéré à tort que la déclaration de nationalité française avait été souscrite dans un délai raisonnable, puisque la déclaration souscrite en 2019 l’a été dans l’année où le tribunal a statué sur une requête en rétractation du jugement déposée à tort par son avocat, sans que cette erreur ne puisse lui être imputée dès lors qu’il n’est pas juriste et avait un avocat. Toutefois, la seule question est de savoir si la déclaration a été souscrite dans un délai raisonnable suivant la connaissance, par l’intéressé, de son extranéité. Or, il a eu connaissance de son extranéité, à tout le moins, lors du contrôle de police effectué en 2017, ce qu’il reconnaît et rien ne l’empêchait de souscrire une déclaration de nationalité française à cette date, sans attendre l’issue de la procédure diligentée par son avocat.

3/Sur l’absence de possession d’état :

Une possession d’état de français constante, continue et non équivoque pendant au moins dix années précédant la déclaration constitue la condition de recevabilité de la manifestation de volonté du déclarant, la preuve de cette possession d’état lui incombant sur la période allant du 18 avril 2009 au18 avril 2019. Or sur cette période, il ne justifie que de la délivrance d’une carte nationale d’identité le 16 juin 2009 et d’un certificat individuel de participation à la journée de défense et citoyenneté du 21 septembre 2015, ce qui n’établit pas une possession d’état de Français constante, continue pendant au moins dix années précédant la déclaration. C’est par ailleurs à tort que le tribunal a retenu, au titre de la possession d’état de français, des pièces qui ne sont pas constitutives de celle-ci (diplôme du baccalauréat en 2014, permis de conduire en 2015, bulletins de salaires), qui ne le concernent pas (copie de l’acte de mariage de sa mère en 2004, acte de naissance de son fils) ou qui ne correspondent pas à la période considérée.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 14 mars 2022, M. [R] demande à la cour, au visa des articles 21-13 et 26-3 du code civil :

– confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

– débouter la procureure générale près la cour d’appel de l’intégralité de ses demandes,

– condamner l’État à lui payer la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner l’État aux entiers dépens.

Il expose que :

1/ la déclaration de nationalité française a été souscrite dans un délai raisonnable, puisqu’il n’a appris qu’il n’était plus français que lors d’un contrôle de police en mai 2017, n’ayant pas jusque-là eu connaissance du jugement du 10 janvier 2013 qui annule la reconnaissance de paternité faite par M. [C] [R], qui n’a été transcrit sur son acte de naissance que le 26 janvier 2016. Or, à l’époque, il était mineur et sa mère, qui ne sait ni lire ni écrire, ne lui a jamais parlé du jugement. D’autre part, le jugement réputé contradictoire du 9 juillet 2015 ne lui a pas été signifié, l’assignation du procureur de la République ayant aussi été délivrée à une mauvaise adresse, où ni lui ni sa mère n’habitaient plus, puisqu’ils avaient déménagé au [Adresse 3]. Il reproche au procureur de la République de ne pas avoir fait diligenter des recherches pour connaître sa véritable adresse auprès des organismes administratifs dont la caisse d’allocations familiales et l’administration fiscale, ou de son employeur, aucune diligence en ce sens n’ayant été effectuée, puis ajoute que lors de la signification du jugement, l’huissier de justice s’est contenté de reprendre exactement le même argumentaire que lors de l’assignation un an plus tôt, ce qui permet de douter de la réalité de ses recherches relatives à sa véritable adresse. Il estime dès lors que le délai pour souscrire la déclaration de nationalité au titre de l’article 21-13 du code civil court seulement à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de son extranéité, soit le contrôle de police de mai 2017, et qu’il ne peut pas être considéré que sa déclaration de nationalité est tardive puisque dès le 3 août 2017, soit moins de 3 mois après, son conseil de l’époque a déposé une requête en rectification et rétractation du jugement du 9 juillet 2015, ayant ainsi engagé une voie de recours, s’agissant notamment de la demande de rétractation du jugement, contrairement à ce qu’a indiqué la directrice de services des greffes judiciaires du tribunal d’instance de Lyon, cette diligence étant suffisante pour suspendre le délai pour souscrire la déclaration de nationalité.

2/ la possession d’état de Français :

M. [I] [R] expose qu’à la suite de la reconnaissance de paternité effectuée par M. [C] [R] le 4 novembre 2004 et jusqu’au jugement du 9 juillet 2015, il était considéré aux yeux de tous, dont les autorités publiques, comme Français, la transcription sur les registres d’état civil n’ayant eu lieu que le 26 janvier 2016, ce qui fait qu’il a joui, de façon constante, de la possession d’état de Français pendant plus de 10 ans, ayant bénéficié en 2008 d’un laissez-passer du consulat général de France de [Localité 13] au Cameroun pour entrer en France le 19 septembre 2008, d’un certificat de nationalité française délivré par le tribunal d’instance de Lyon le 28 novembre 2008 et d’une carte nationale d’identité française le 19 mars 2009. Il ajoute avoir fait ses études en France et obtenu un baccalauréat professionnel de technicien de maintenance des systèmes énergétiques et climatiques en 2014, avoir régulièrement participé à la journée Défense et Citoyenneté le 21 septembre 2015 et avoir été candidat à un engagement dans l’armée de terre en 2015, ayant aussi obtenu son permis de conduire B en France le 2 novembre 2015. Selon lui la fraude relative à la reconnaissance de paternité de M. [C] [R] ne peut lui être opposée, puisqu’il n’avait que 9 ans à l’époque de celle-ci et n’a pas participé à cette reconnaissance mensongère. Il estime en conséquence justifier d’une possession d’état de Français durant plus de 10 ans.

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions récapitulatives visées ci-dessus pour un exposé plus précis des faits, prétentions, moyens et arguments des parties.

La clôture a été prononcée le 27 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le délai raisonnable :

Il n’est pas contesté que M. [I] [R] n’a eu connaissance du jugement réputé contradictoire (et non contradictoire comme indiqué par erreur dans le dispositif) du 9 juillet 2015 qu’au moment du contrôle de police dont il a été l’objet en mai 2017, au cours duquel il a remis son passeport et qu’avec l’aide de son conseil de l’époque, il a déposé dès le 3 août 2017 une requête en rectification d’erreur matérielle, avant de demander aussi dans le cadre de ses conclusions la rétractation du jugement du 9 juillet 2015, le jugement du 19 janvier 2019 ayant statué sur ses demandes en rectification d’erreur matérielle et en rétractation, toutes deux rejetées.

Le premier juge a estimé dans la motivation du jugement déféré que ces démarches diligentées en 2017 ont suspendu le délai, la souscription de déclaration de nationalité française effectuée le 18 avril 2019 devant la directrice de services de greffe judiciaires du tribunal d’instance de Lyon ayant ainsi été faite dans un délai raisonnable, le requérant s’étant fié à son avocat qui a déposé une requête en rectification d’erreur matérielle sans faire appel du jugement, ce qui ne peut être reproché à M. [I] [R] qui n’est pas juriste. Selon le premier juge, il justifie ainsi d’une possession d’état de Français continue et non équivoque de plus de 10 ans, sur la période allant de juin 2007 à juin 2017.

Or, s’il est constant que la durée des démarches par lesquelles le requérant conteste les décisions lui refusant la nationalité française suspendent le délai, la requête en erreur matérielle suivie de conclusions en vue de la rétractation du jugement du 9 juillet 2015 ne peut être assimilée à l’exercice d’une voie de recours, d’autant que M. [I] [R] aurait pu contester les conditions dans lesquelles la signification du jugement a eu lieu dans le cadre d’une procédure d’appel à l’encontre de ce même jugement, ce qu’il n’a pas fait.

Dès lors, étant rappelé qu’il a eu connaissance de son extranéité au mois de mai 2017, la souscription de sa déclaration de nationalité française effectuée le 18 avril 2019 n’a pas eu lieu dans un délai raisonnable.

Sur la possession d’état de Français :

Pour être efficace et ouvrir la possibilité de souscrire la déclaration d’acquisition de la nationalité française de l’article 21-13 du code civil, la possession d’état doit être constante, continue, non équivoque et ne pas avoir été constituée ou maintenue par fraude ou de mauvaise foi. Elle doit être justifiée pendant les dix ans qui précédent la déclaration, soit en l’espèce sur la période du 18 avril 2009 au 18 avril 2019.

Sur cette période, M. [I] [R] s’est vu délivrer une carte nationale d’identité française

le 16 juin 2009 et a participé le 21 septembre 2015 à la journée de défense et citoyenneté. Toutefois, lors du contrôle de police de mai 2017, il a dû restituer son passeport et il lui a été demandé de se présenter au commissariat de police le 20 mai 2017 pour restituer sa carte nationale d’identité française, ce qu’il n’a manifestement pas fait. Enfin, les jugements des 10 janvier 2013 et 9 juillet 2015 ont été transcrits en marge de son acte de naissance le 26 janvier 2016.

M. [I] [R] ne justifie en conséquence pas d’une possession d’état continue d’une durée de dix ans, mais tout au plus d’une durée de six ans et demi, du 16 juin 2009 au 26 janvier 2016.

De plus, cette possession d’état a été obtenue par suite d’une reconnaissance frauduleuse, ce qui n’est pas contesté et qu’avait même reconnu M. [C] [R] comme en atteste la motivation en ce sens du jugement du 10 janvier 2013, ce qui fait que, bien que M. [I] [R], à l’époque mineur, ne soit pas à l’origine de la fraude, il ne peut pas pour autant en bénéficier, en vertu d’un principe général du droit qui veut que la fraude corrompt tout.

Dès lors, le jugement déféré sera nécessairement infirmé, M. [I] [R], qui n’a pas souscrit dans un délai raisonnable sa déclaration de nationalité française, ne justifiant au surplus pas d’une possession d’état de la qualité de Français suffisante.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Déclare recevable l’appel formé par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon,

Infirme le jugement du 8 septembre 2021 du tribunal judiciaire de Lyon en toutes ses dispositions frappées d’appel,

Et, la cour statuant à nouveau,

Constate que le récépissé prévu par l’article 1043 du code de procédure civile a été délivré.

Rejette la demande de M. [I] [R] d’acquisition de la nationalité française par possession d’état sur le fondement de l’article 21-13 du code civil.

Dit que M. [I] [R], né le 20 juin 1995 à [Localité 13] (Cameroun), n’est pas de nationalité française.

Ordonne la mention prévue par l’article 28 du code civil.

Condamne M. [I] [R] à supporter la totalité des dépens de première instance et d’appel.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Anne Claire ALMUNEAU, président, et par Priscillia CANU, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

 

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