27 mars 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
23/00495

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre des Libertés Individuelles

N° RG 23/00495 – N° Portalis DBVT-V-B7H-U2KF

N° RG 23/00507 – N° Portalis DBVT-V-B7H-U2KS

N° de Minute : 515

Ordonnance du lundi 27 mars 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

APPELANTS

M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE PRES LE TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOULOGNE SUR MER

Non comparant, non représenté

M. LE PREFET DU PAS DE [Localité 2]

Représenté par Me Ioannidou, Centaure avocats, barreau de Paris

INTIMÉ

M. [U] [J]

né le 21 Mai 2004 à REXHIN – ALBANIE

de nationalité Albanaise

Actuellement retenu au centre de rétention de [Localité 3]

dûment avisé, comparant en personne par viso-conférence

assisté de Me Henry-Pierre RULENCE, avocat au barreau de DOUAI, avocat commis d’office et de M. [R] [X] interprète assermenté en langue albanaise, tout au long de la procédure devant la cour

MAGISTRATE DELEGUEE : Danielle THEBAUD, conseillère à la cour d’appel de Douai désignée par ordonnance pour remplacer le premier président empêché assistée de Jean-Luc POULAIN, greffier

DÉBATS : à l’audience publique du lundi 27 mars 2023 à 13h30

Les parties comparantes ayant été avisées à l’issue des débats que l’ordonnance sera rendue par mise à disposition au greffe

ORDONNANCE : rendue par mise à disposition au greffe à [Localité 4] le lundi 27 mars 2023 à 15h30

Le premier président ou son délégué,

Vu les articles L.740-1 à L.744-17 et R.740-1 à R.744-47 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) et spécialement les articles L 743-21, L 743-23, R 743-10, R 743-11, R 743-18 et R 743-19 ;

Vu l’article L 743-8 du CESEDA ;

Vu la demande de l’autorité administrative proposant que l’audience se déroule avec l’utilisation de moyens de télécommunication audiovisuelle ;

Vu l’accord du magistrat délégué ;

Vu le procès-verbal des opérations techniques de ce jour ;

Vu l’appel interjeté par M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE PRES LE TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOULOGNE SUR MER, par déclaration reçue au greffe de la cour d’appel de ce siège le 24 mars 2023 ;

Vu l’appel interjeté par M. LE PREFET DU PAS DE CALAIS, ou son Conseil, par déclaration reçue au greffe de la cour d’appel de ce siège le 26 mars 2023 ;

Vu l’ordonnance du magistrat délégué en date du 25 mars 2023 rendue à 18H05 ordonnant la suspension de l’exécution provisoire de la décision du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Boulogne sur Mer du 24 mars 2023 ;

Vu le mémoire en réponse de l’intimé du 25 mars à 16 H 50 ;

Vu l’audition des parties, les moyens des déclarations d’appel et les débats de l’audience ;

EXPOSE DU LITIGE

Interpellé le 21 mars 2023 à 16h15 au bâtiment D41 site eurotunnel au service des UKBF sur la commune de [Localité 3] pour usage et détention d’un document administratif appartenant à autrui alors qu’il tentait de se rendre en Grande-Bretagne dans un camion roumain, puis placé en garde à vue, puis en retenue, M. [U] [J], né le 21 mai 2004 à REXHIN en Albanie, de nationalité albanaise a fait l’objet d’un arrêté portant obligation de quitter le territoire français, sans délai de départ volontaire, fixant le pays de destination de la reconduite, lui faisant interdiction de retour sur le territoire français suivi d’un placement en rétention administrative, notifié le 22 mars 2023 à 15h10, décisions prononcées toutes les deux par M. le Préfet du Pas-de-[Localité 2].

Par décision du 24 mars 2023 à 11h28 le juge des libertés et de la détention du Tribunal Judiciaire de Boulogne-sur-Mer a refusé la prolongation du placement en rétention administrative de M. [U] [J] au visa de l’article 5 1° du décret n°2017-2019 du 28 mai 2010.

Le premier juge a considéré qu’en l’espèce, il ne résultait pas des pièces du dossier que l’agent ayant consulté le FPR était expressément habilité à cet effet, et qu’en conséquence la procédure se trouvait entachée d’une nullité d’ordre public et que cette nullité ne saurait être couverte par une présomption d’habilitation alors que le texte précité évoque une désignation et une habilitation supposant que le dossier comporte des mentions suffisantes permettant au juge de pouvoir vérifier, au minimum par voir d’ une mention spécifique, l’existence d’une désignation nominative et d’une habilitation par l’autorité compétente préalablement à l’acte de recherche sur ce ‘chier.

Par déclaration d’appel reçue à la cour d’appel de Douai le 24 mars 2023 à 16h57 le procureur de la République près le Tribunal Judiciaire de Boulogne-sur-Mer a sollicité l’infirmation de la décision déférée et la prolongation du placement en rétention administrative de M. [U] [J] pour 28 jours.

Le ministère public appelant sollicite également la suspension de l’exécution provisoire de la décision déférée.

Au soutien de son appel sur le fond le ministère public expose :

– qu’en application des dispositions de l’article 15-5 nouveau du code de procédure pénale L’absence de mention de l’habilitation dans le procès-verbal de saisine ainsi que dans les autres pièces soumises au juge des libertés et de la détention ne peut être sanctionnée de nullité ; qu’il revient désormais au magistrat de contrôler la réalité de cette habilitation et non aux services de police de la fournir ; que les informations présentes au procès verbal de saisine permettaient de s’assurer que l’agent de police judiciaire était bien en possession d’une carte professionnelle comportant les habilitations de consultation des fichiers.

– qu’en tout état de cause si la Cour venait à considérer que la consultation du fichier est entachée de nullité sur le motif retenu par le juge de première instance, les conséquences de cette nullité ne saurait s’étendre à l’entière procédure ; que si la consultation du fichier devait être annulée, cette consultation a eu un résultat négatif qui n’a pas motivé le placement en garde a vue puis en retenue administrative et n’en était donc pas le support nécessaire.

Par mémoire d’intimé reçu à la cour d’appel de Douai le 25 mars 2023 à 16h50, M. [U] [J] sollicité la confirmation de la décision déférée en soutenant les moyens suivants :

– L’article 8 du décret n°87-249 du 8 avril 1987 relatif au ficher automatisé des empreintes digitales impose aux fonctionnaires et militaires d’être personnellement et individuellement désignés et habilités pour accéder aux informations aux données à caractère personnel, et qu’il appartient au juge des libertés et de la détention de vérifier si le fonctionnaire ayant procédé à la consultation était habilité,

– que la seule qualité d’officier de police judiciaire est insuffisante puisque l’habilitation est individuelle, il résulte des dispositions de l’article 5 1° du décret n°2017-1219 du 28 mai 2010 que peuvent seuls avoir accès aux données à caractère personnel et informations enregistrées dans le fichier des personnes recherchées les agents de la police nationale individuellement désignés et spécialement habilités,

– qu’en l’espèce le fichier des personnes recherchées a été consulté par un agent de police sans qu’il y ait de preuve de son habilitation ;

– que contrairement à ce que soutient le procureur de la république l’article 15-5 du code de procédure pénale s’applique aux procès pénal et aux procédures qui y sont rattachés, et ne trouve pas à s’appliquer dans le contentieux de la rétention, contentieux d’urgence et qu’en conséquence c’est l’article R743-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui doit s’appliquer, et que la consultation est nulle du fait de l’absence d’habilitation et cela entache la procédure de nullité.

Par décision du 25 mars 2023 madame la conseillère déléguée par le premier président de la cour d’appel de Douai a ordonné la suspension de l’exécution provisoire qui s’attache à la décision déférée aux motifs suivants :

‘La cour considère, que concernant la demande d’effet suspensif de l’appel, la question de la domiciliation effective de l’intimé est déterminante, en l’espèce, la cour constate qu’il résulte des pièces du dossiers que M. [U] [J] ne justifie pas d’une domiciliation en France et qu’il résulte de ses propres déclarations qu’il ne souhaite pas retourner en Albanie mais rejoindre illégalement l’Angleterre.

Il se déduit de ces circonstances que l’intimé ne présente pas de garanties suffisantes et risque de se soustraire, si la décision d’appel lui est défavorable, de sorte qu’il y a lieu de suspendre les effets de l’ordonnance déférée.’

Le 26 mars 2023 à 17h37 monsieur le Préfet du Pas-de-[Localité 2] interjetait appel de la décision déférée par le ministère public aux mêmes fins.

Au soutien de son appel monsieur le Préfet du Pas-de-[Localité 2] demande l’infirmation de la décision dont appel .

Le préfet appelant considère que :

– dans la procédure, il n’existe aucune mention précisant a que les personnes ayant procédé à la consultation du FAED et du FPR étaient effectivement habilitées.

– le contrôle ayant conduit à l’interpellation de l’intéressé était fondé sur l’article 78-2 al 1 et 2 du code de procédure pénale, lequel permet l’application des dispositions de l’article 15-5 du code de procédure pénale. Dès lors, en application de ce texte, l’absence de mention de l’habilitation en procédure ne constitue pas une cause de nullité de celle-ci.

– en outre, la consultation a été négative, ce qui justifie qu’aucun grief ne peut être allégué. En tout état de cause, cette seule circonstance suffit à justifier l’infirmation de la décision entreprise. En effet, un résultat négatif constitue une absence de consultation d’une quelconque donnée.

La cause a été entendue sur le fond le lundi 27 mars 2023 à 14h00.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le moyen tiré de l’absence de mention dans la procédure de l’habilitation du fonctionnaire de police ayant consulté le fichier des personnes recherchées :

Il est constant que la consultation d’un fichier biométrique dans le cadre de la procédure civile déterminé pat le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile doit être effectuée par un fonctionnaire habilité à cet effet. Dans ce même cadre, l’absence de justification de cette habilitation sur le procès-verbal de consultation constitue une nullité d’ordre public entrainant la main levée de la procédure de placement en rétention subséquente, sans qu’il soit besoin de justifier d’un grief.

Pour autant, il ressort de l’article 15-5 du code de procédure pénale dans sa rédaction de la loi du 26 janvier 2023, que : « seuls les personnels spécialement et individuellement habilités a cet effet peuvent procéder à la consultation de traitements au cours d’une enquête ou d’une instruction.

La réalité de cette habilitation spéciale et individuelle peut être contrôlée à tout moment par un magistrat, à son initiative ou a la demande d ‘une personne intéressée. L’absence de la mention de cette habilitation sur les différentes pièces de procédure résultant de la consultation de ces traitements n ’emporte pas, par elle-même, nullité de la procédure ”.

Il s’ensuit que la consultation d’un fichier biométrique dans le cadre de la procédure pénale soumise au nouvel article 15-5 du code de procédure pénale ne prévoit plus une cause de nullité du fait d’un défaut de mention sur le procès-verbal de l’habilitation du fonctionnaire ayant procédé à la consultation d’un fichier.

En l’espèce, il ressort des éléments de la procédure que le contrôle ayant conduit à l’interpellation de l’intéressé pour usage et détention d’un document administratif appartenant à autrui et ce sans incidents, était fondé sur l’article 78-2 al 1 et 2 du code de procédure pénale compte tenu du faux document d’identité produit, texte qui permet l’application des dispositions de l’article 15-5 du code de procédure pénale ; qu’il ressort du procès-verbal de saisine indique que la consultation du fichier des personne recherchées a été effectuée par le brigadier de police [Z] et que cette consultation a eu lieu avant le placement de l’intéressé en retenue.

Dès lors, en application de ce texte, l’absence de mention de l’habilitation en procédure ne constitue pas une cause de nullité de celle-ci.

Le moyen sera écarté.

Sur la demande de prolongation de la mesure de rétention administrative

En l’espèce, l’intéressé ne justifie d’aucune garantie de représentation, il ne justifie pas d’une domiciliation en France et il résulte de ses propres déclarations qu’il ne souhaite pas retourner en Albanie mais rejoindre illégalement l’Angleterre, dès lors que l’administration est dans l’attente d’un vol à destination de l’Albanie sollicité le 23 mars 2023 à 8h00; ainsi qu’en témoigne la demande de routing effectuée.

La décision dont appel sera infirmée.

PAR CES MOTIFS

DÉCLARE l’appel du ministère public recevable ;

DECLARE l’appel de monsieur le Préfet du Pas-de-[Localité 2] recevable;

ORDONNE la jonction des procédures RG 23/00495 et RG 23/00507 sous la procédure RG 23/00495

INFIRME l’ordonnance entreprise.

Statuant de nouveau

ORDONNE la prolongation du placement en rétention administrative de M. [U] [J] dans des locaux ne dépendant pas de l’administration pénitentiaire, pour 28 jours à compter du 24 mars 2023 15h10.

DIT que la présente ordonnance sera communiquée au ministère public par les soins du greffe ;

DIT que la présente ordonnance sera notifiée dans les meilleurs délais aux parties ;

LAISSE les dépens à la charge de l’État.

Jean-Luc POULAIN, greffier

Danielle THEBAUD, conseillère

A l’attention du centre de rétention, le lundi 27 mars 2023

Bien vouloir procéder à la notification de l’ordonnance en sollicitant, en tant que de besoin, l’interprète intervenu devant le premier président ou le conseiller délégué : M. [R] [X]

Le greffier

N° RG 23/00495 – N° Portalis DBVT-V-B7H-U2KF

REÇU NOTIFICATION DE L’ORDONNANCE 515 DU 27 Mars 2023 ET DE L’EXERCICE DES VOIES DE RECOURS (à retourner signé par l’intéressé au greffe de la cour d’appel de Douai par courriel – [Courriel 5]) :

Vu les articles 612 et suivants du Code de procédure civile et R. 743-20 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

Pour information :

L’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d’attente ou la rétention et au ministère public.

Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.

Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

Reçu copie et pris connaissance le

– M. LE PREFET DU PAS DE [Localité 2]

– par truchement téléphonique d’un interprète en tant que de besoin

– nom de l’interprète (à renseigner) :

– décision transmise par courriel au centre de rétention de pour notification à M. [U] [J] le lundi 27 mars 2023

– décision transmise par courriel pour notification le lundi 27 mars 2023

– décision communiquée au tribunal administratif de Lille

– décision communiquée à M. le procureur général

– copie au Juge des libertés et de la détention de [Localité 1]

Le greffier, le lundi 27 mars 2023

N° RG 23/00495 – N° Portalis DBVT-V-B7H-U2KF

 

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Please fill the required fields*