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L’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.


Légalité d’un système de pointage

Dans cette affaire, pour établir un abus des temps de pause et un abandon de poste, l’employeur a produit un relevé du système de pointage.

Le salarié soutient que l’employeur ne démontre pas que le système de pointage, outil de contrôle de l’activité des salariés récemment introduit au sein de l’entreprise, avait fait l’objet d’une consultation préalable du CSE et d’une information au salarié et n’établit pas que la note de service destinée à le rendre obligatoire avait été prise conformément aux dispositions légales.

L’employeur soutient avoir respecté la réglementation applicable, verse aux débats les mails adressés aux salariés les informant de la mise en oeuvre du procédé, l’attestation du secrétaire du CSE indiquant que la question a été abordée au CSE.

En outre, il considère, qu’à le supposer illicite, le système de badgeage qui n’enregistre que les heures d’entrée et de sortie des salariés dans l’entreprise, constitue une preuve recevable, indispensable à l’exercice de son droit de défense, l’atteinte à la vie privée étant proportionné.

Information des salariés

Le salarié ne conteste pas l’absence de pointage lors des temps de pause mais remet en cause la licéité du système. Il ressort des pièces produites par l’employeur que, contrairement aux allégations du salarié, ce système n’avait pas été mis en place récemment au sein de l’entreprise, son déploiement datant de juin 2019. Il est justifié par l’employeur d’une information effective aux salariés.

Le secrétaire du CSE, atteste du fait que les informations concernant la mise en place de l’application ont été données aux salariés le 2 mai 2019 puis le 13 juin 2019, que lors de sa réunion du 27 janvier 2020 le CSE a validé le système, le CSE ayant été mis en place postérieurement à la mise en oeuvre du système.

Déclaration préalable à la Cnil

Toutefois, l’employeur ne justifiait pas d’une déclaration préalable à la Cnil.

Cependant, l’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Au cas d’espèce, l’atteinte au droit à la vie privée du salarié est limitée dans la mesure où le système de badgeage n’enregistre que les heures d’entrées et de sorties des salariés dans l’entreprise, que l’employeur n’avait pas d’autre moyen de contrôler ces temps de travail. En conséquence, la production de la feuille de temps litigieuse était indispensable à l’exercice par la société de son droit à la preuve et strictement proportionnée au but poursuivi et ne devait pas être écartée par le conseil de prud’hommes.

Il ressort de cet élément qu’au cours de la semaine du 23 au 29 mars 2020, le salarié n’a pas badgé lors de ses temps de pause. Le grief était donc établi.


 

N° RG 21/02665 – N° Portalis DBV2-V-B7F-I2DQ

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 11 MAI 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DU HAVRE du 16 Juin 2021

APPELANTE :

Société ENTREPOTS FRIGORIFIQUE DE LA BASSE-SEINE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Xavier D’HALESCOURT de la SELARL XAVIER D’HALESCOURT, avocat au barreau du HAVRE

INTIME :

Monsieur [E] [R]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Karim BERBRA de la SELARL LE CAAB, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Nicolas CAPRON, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 16 Mars 2023 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

Madame DE BRIER, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 16 Mars 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 11 Mai 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 11 Mai 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société Entrepôts Frigorifique de la Basse Seine (EFBS) (la société) est spécialisée dans le secteur d’activité de l’entreposage et du stockage frigorifique. Elle emploie plus de 50 salariés.

M. [R] (le salarié) a été embauché par la société M2E en qualité de manutentionnaire cariste aux termes d’un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2014.

A compter du 1er août 2018, son contrat de travail a été transféré à la société EFBS.

A compter du 1er septembre 2018, il a été promu adjoint du responsable entrepôt.

M. [R] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 8 avril 2020 par lettre du 26 mars précédent, mis à pied à titre conservatoire puis licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 16 avril 2020 motivée comme suit :

‘Lors de notre entretien du 8 avril 2020 je vous ai reproché les faits fautifs suivants :

– Abandon de poste: en effet vous quitté brusquement votre poste le mardi 24 mars 2020 pour vous rendre sur un autre entrepôt afin de discuter avec d’autres collègues de la prime attribuée par une autre entreprise à ses salariés dans le cadre de la crise sanitaire. Ceci:

* sans prévenir votre responsable hiérarchique,

* alors que vous n’étiez pas en pause,

* alors qu’il y a avait des palettes à gérer sur le quai ( pour rappel vous aviez d’ailleurs été positionné sur l’entrepôt E1 afin d’aider le responsable de l’entrepôt dans la gestion de la charge de travail)

– Non respect des procédures de l’entreprise: vous n’avez pas pointé avec votre badge de sortie ou pause. Il s’avère que vous n’aviez pointé aucune pause la veille non plus ni la semaine précédente, ceci alors que vous prenez bien a minima 30 mn de pause par jour.

– Non respect des consignes de sécurité de l’entreprise et imposées par le gouvernement: en effet vous avez abandonné votre poste en entraînant 2 collègues caristes de l’entrepôt (où je vous rappelle il y avait du travail en attente), puis vous avez pris une seule voiture tous les trois, ceci au mépris du respect des gestes barrières qui doivent être appliqués en cette période de crise sanitaire.

Votre comportement est d’autant plus inadmissible que vous occupez un poste d’adjoint responsable d’entrepôt, poste qui nécessite d’avoir un comportement exemplaire et réfléchi et de suivre scrupuleusement les règles de l’entreprise. Vous avez par votre comportement mis en difficulté l’entrepôt E1 et piétiné les règles de l’entreprise mais aussi la confiance que votre hiérarchie avait pu mettre en vous.

Lors de votre entretien vous avez reconnu les faits et vous êtes excusé pour votre comportement.

Le représentant du CSE qui vous a accompagné a demandé une certaine clémence au nom des quelques années d’ancienneté que vous avez et du fait de votre poste d’adjoint, arguant que si ce poste vous a été confié c’est que vous avez assurément des qualités et des compétences.

Malheureusement un abandon de poste ne peut être toléré, d’autant plus dans ces conditions et lorsque l’on occupe un poste d’adjoint. Vous avez perdu toute crédibilité auprès de la direction et des équipes et il m’est dorénavant impossible de vous faire confiance et de vous confier la gestion d’un entrepôt et de son équipe en l’absence de votre responsable.

Pour l’ensemble de ces raisons je vous notifie par la présente votre licenciement pour faute.

Compte tenu de votre passif et du fait que vous avez reconnu vos fautes et que nous pensons que vous avez agi avec immaturité, précipitation, bêtise mais pas dans l’intérêt de nuire à l’entreprise, nous ne qualifierons pas la faute de faute grave.

Par conséquent, nous retirons la mise à pied conservatoire.

Nous vous dispensons d’effectuer votre préavis d’un mois qui débutera à compter de la première présentation de cette lettre. (…)’

Contestant la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de la rupture de son contrat de travail, M. [R] a saisi le conseil de prud’hommes du Havre le 8 juin 2020, qui, par jugement du 16 juin 2021a :

– requalifié le licenciement pour faute en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamné la société à verser au salarié :

12 492 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire de la décision,

– ordonné à l’employeur de rembourser aux organismes concernés le montant des indemnités chômage versées au salarié dans la limite de 6 mois de prestations,

– fixé à 2 082 euros la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [R],

– condamné la société aux dépens et frais d’exécution du jugement.

La société a interjeté appel le 29 juin 2021 à l’encontre de cette décision qui lui a été régulièrement notifiée.

Le salarié a constitué avocat par voie électronique le 6 juillet 2021.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 13 juillet 2021, l’employeur appelant sollicite l’infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de :

– débouter le salarié de l’ensemble de ses demandes,

– condamner M. [R] à lui verser la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner le salarié aux dépens.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 7 octobre 2021, le salarié intimé, réfutant les moyens et l’argumentation de la partie appelante, sollicite pour sa part la confirmation de la décision déférée en toutes ses dispositions et la condamnation de l’appelant au paiement d’une indemnité de procédure (2 500 euros) ainsi qu’aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture en date du 23 février 2023 a renvoyé l’affaire pour être plaidée à l’audience du 16 mars 2023.

Il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel aux écritures des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur le licenciement

Au soutien de son appel, l’employeur considère que les griefs reprochés au salarié sont matériellement établis, lui sont imputables et justifiaient le prononcé d’un licenciement au regard notamment des fonctions exercées.

Le salarié conteste en partie les faits reprochés, soutient que la mesure de licenciement était disproportionnée observant que les deux collègues avec lesquels il s’est absenté le 24 mars 2020 ont seulement été destinataires d’un avertissement.

Il affirme que l’employeur a créé de toutes pièces un motif de licenciement à son encontre parce qu’il avait eu le tort de se préoccuper des conditions de rémunération de ses collègues en comparant leur sort à celui des salariés de l’entreprise détenue par le frère du dirigeant et parce qu’il avait refusé de témoigner contre deux anciens collègues licenciés pour faute grave.

Sur ce ;

Pour satisfaire à l’exigence de motivation posée par l’article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l’énoncé de faits précis et contrôlables.

Il résulte de l’article L.1235-1 du code du travail que la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse de licenciement n’incombe spécialement à aucune des parties. Toutefois, le doute devant bénéficier au salarié avec pour conséquence de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, l’employeur supporte, sinon la charge, du moins le risque de la preuve.

Sur l’abandon de poste du 24 mars 2020

Il ressort des pièces du dossier que le 24 mars 2020, à 9h30, sans autorisation et sans prévenir son responsable hiérarchique, le salarié a quitté son poste pendant 30 minutes, avec deux autres collègues, pour se rendre en véhicule au sein de l’entreprise gérée par le frère du dirigeant, située à environ 1 kilomètre.

M. [J], adjoint du responsable de l’entrepôt au sein duquel était affecté le salarié, atteste du fait que le 24 mars 2020 vers 9h30 M. [R] et ses collègues ont quitté l’entrepôt et qu’ils sont revenus 30 minutes plus tard.

Mme [T], gestionnaire logistique export sur le bâtiment F confirme avoir vu le 24 mars 2020 entre 9h40 et 9h50 trois personnes entrer sur les quais du bâtiment, avoir entendu son responsable nommer [E] [R], ce dernier étant ‘très remonté et énervé’. Elle indique avoir vu son responsable parler avec eux, précisant qu’ils sont repartis vers 10h20.

M. [W], responsable d’entrepôt, indique que M. [R], lors de son absence ne l’a pas prévenu de son départ, n’a pas avisé son responsable fonctionnel et n’a pas badgé.

Le salarié affirme avoir quitté son poste pendant son temps de pause, avec deux autres collègues, afin de se rendre au sein d’un autre entrepôt appartenant à la société dirigée par le frère de l’actuel dirigeant pour discuter avec ses collègues d’une prime qui aurait été instaurée par le gérant en lien avec la période de crise sanitaire. Il précise que la production était fortement ralentie en raison du Covid, que son absence n’a eu aucune répercussion sur celle-ci.

Il expose que le déplacement d’un bâtiment à l’autre de la société par le personnel était fréquent.

Au regard des pièces produites, il apparaît que les faits reprochés au salarié sont matériellement constitués, qu’il n’est pas établi, en l’absence de badgeage notamment, que le salarié se soit absenté au cours de son temps de pause.

Il ressort des attestations produites par l’employeur que M. [R] n’a sollicité aucune autorisation pour s’absenter pendant une période d’environ 30 minutes de son poste.

Sur le non-respect des consignes de l’entreprise

L’employeur reproche au salarié un défaut de pointage lors des temps de pause.

Il verse aux débats le relevé de badgeage du salarié pour la semaine du 24 au 29 mars 2020.

Le salarié soutient que l’employeur ne démontre pas que le système de pointage, outil de contrôle de l’activité des salariés récemment introduit au sein de l’entreprise, avait fait l’objet d’une consultation préalable du CSE et d’une information au salarié et n’établit pas que la note de service destinée à le rendre obligatoire avait été prise conformément aux dispositions légales.

L’employeur soutient avoir respecté la réglementation applicable, verse aux débats les mails adressés aux salariés les informant de la mise en oeuvre du procédé, l’attestation du secrétaire du CSE indiquant que la question a été abordée au CSE.

En outre, il considère, qu’à le supposer illicite, le système de badgeage qui n’enregistre que les heures d’entrée et de sortie des salariés dans l’entreprise, constitue une preuve recevable, indispensable à l’exercice de son droit de défense, l’atteinte à la vie privée étant proportionné.

Il y a lieu de constater que le salarié ne conteste pas l’absence de pointage lors des temps de pause mais remet en cause la licéité du système.

Il ressort des pièces produites par l’employeur que, contrairement aux allégations de M. [R], ce système n’avait pas été mis en place récemment au sein de l’entreprise, son déploiement datant de juin 2019.

Il est justifié par l’employeur d’une information effective aux salariés.

Mme [M], secrétaire du CSE, atteste du fait que les informations concernant la mise en place de l’application ont été données aux salariés le 2 mai 2019 puis le 13 juin 2019, que lors de sa réunion du 27 janvier 2020 le CSE a validé le système, le CSE ayant été mis en place postérieurement à la mise en oeuvre du système.

L’employeur ne justifie pas de la déclaration préalable à la Cnil.

Cependant, l’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Au cas d’espèce, l’atteinte au droit à la vie privée de M. [R] est limitée dans la mesure où le système de badgeage n’enregistre que les heures d’entrées et de sorties des salariés dans l’entreprise, que l’employeur n’avait pas d’autre moyen de contrôler ces temps de travail. En conséquence, la production de la feuille de temps litigieuse était indispensable à l’exercice par la société de son droit à la preuve et strictement proportionnée au but poursuivi et ne devait pas être écartée par le conseil de prud’hommes.

Il ressort de cet élément qu’au cours de la semaine du 23 au 29 mars 2020, le salarié n’a pas badgé lors de ses temps de pause.

Le grief est établi.

Sur le non-respect des consignes sanitaires

L’employeur reproche au salarié, le 24 mars 2020, de ne pas avoir respecté les consignes en vigueur en utilisant un véhicule pour trois personnes, sans respecter les règles de distanciation sociale, en effectuant un déplacement inutile.

Le salarié soutient qu’à la date du 24 mars 2020, aucune recommandation sanitaire n’avait été prise, le premier protocole sanitaire datant du 3 mai 2020.

La cour rappelle que le 17 mars 2020 un confinement national en lien avec la pandémie a été mis en place en France, que l’ensemble de la population était astreinte au respect des gestes barrières dont la distanciation sociale, que par décret du 16 mars 2020 tout déplacement sur le territoire devait être justifié.

Si en quittant son lieu de travail pour se rendre dans un véhicule avec deux autres collègues à environ 1 kilomètre de celui-ci, le salarié a contrevenu aux règles sanitaires, il ressort des éléments précédemment évoqués qu’il n’était plus, à cette période, sous la subordination de son employeur, ce dernier lui ayant reproché un abandon de poste.

L’employeur ne peut en conséquence reprocher au salarié ce non respect des consignes sanitaires.

Le grief n’est pas établi.

Il ressort de l’ensemble des éléments que les griefs relatifs à l’abandon de poste et l’absence de pointage lors des temps de pause sont établis.

L’examen de proportionnalité auquel doit se livrer le juge conduit à retenir que le licenciement pour cause réelle et sérieuse pour sanction des faits reprochés n’est cependant pas justifié, notamment au vu de l’ancienneté du salarié, de sa bonne progression dans l’entreprise, de son absence d’antécédent disciplinaire, du contexte particulier de crise sanitaire dans lequel ils se sont déroulés et du fait que les salariés accompagnant M. [R] lors des faits n’ont fait l’objet que d’un simple avertissement.

Le fait que le salarié ait occupé un emploi hiérarchique supérieur à celui des deux autres salariés qui n’ont été sanctionnés que par la sanction la plus faible, ne justifie pas qu’il soit sanctionné par la sanction la plus élevée, dans la mesure où il était loisible pour l’employeur de prendre une autre mesure disciplinaire, alternative, avant que de choisir la voie radicale du licenciement, disproportionné en l’espèce.

Le jugement déféré est confirmé en ce qu’il a jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement.

Compte-tenu de la date du licenciement sont applicables les dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail dans sa version issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Selon ces dispositions si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l’entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par ledit article, en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.

Pour une ancienneté de 5 années dans une entreprise employant habituellement plus de onze salariés, l’article L. 1235-3 du code du travail prévoit une indemnité comprise entre trois et six mois de salaire.

M. [R] indique avoir retrouvé un emploi en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 16 novembre 2020 distant de plus de 100 kilomètres de son domicile, avoir subi une perte de salaire de 300 euros brut par mois.

En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge (29 ans), à l’ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme qui sera indiquée au dispositif de l’arrêt.

Le jugement entrepris est confirmé en ce qu’il a fait application des dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail.

2/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il serait inéquitable de laisser à la charge du salarié les frais non compris dans les dépens qu’il a pu exposer.

Il convient en l’espèce de condamner l’employeur, appelant succombant dans la présente instance, à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel et de confirmer la condamnation à ce titre pour les frais irrépétibles de première instance.

Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l’employeur les frais irrépétibles exposés par lui.

Il y a également lieu de condamner la société appelante aux dépens d’appel et de confirmer sa condamnation aux dépens de première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement, en dernier ressort ;

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes du Havre du 16 juin 2021 sauf en ses dispositions relatives au quantum des dommages et intérêts alloués ;

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant:

Condamne la société Entrepôts Frigorifique de la Basse Seine à verser à M. [E] [R] la somme de 8 330 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Entrepôts Frigorifique de la Basse Seine à verser à M. [E] [R] la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la société Entrepôts Frigorifique de la Basse Seine aux dépens d’appel.

La greffière La présidente

 

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