Par une ordonnance du 25 novembre 2021, le président du tribunal administratif de Grenoble a transmis, d’une part, au président de la section du contentieux du Conseil d’Etat les conclusions indemnitaires de la requête de M. A B se rattachant, hors sûreté de l’Etat, aux fichiers des services de renseignement territorial, au fichier des personnes recherchées et au traitement automatisé de données du système national d’information Schengen (N-SIS II), pour détermination du tribunal administratif compétent, et, d’autre part, au Conseil d’Etat les conclusions indemnitaires se rattachant aux traitements automatisés de données à caractère personnel CRISTINA et FSPRT.

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Tribunal administratif de Paris, 6e Section – 1re Chambre, 24 mars 2023, 2215821

Vu la procédure suivante :

M. E A B, représenté par M. C, a présenté une requête indemnitaire au greffe du tribunal administratif de Grenoble le 30 avril 2021, qui a été enregistrée sous le n° 2102804.

Par une ordonnance du 25 novembre 2021, le président du tribunal administratif de Grenoble a transmis, d’une part, au président de la section du contentieux du Conseil d’Etat les conclusions indemnitaires de la requête de M. A B se rattachant, hors sûreté de l’Etat, aux fichiers des services de renseignement territorial, au fichier des personnes recherchées et au traitement automatisé de données du système national d’information Schengen (N-SIS II), pour détermination du tribunal administratif compétent, et, d’autre part, au Conseil d’Etat les conclusions indemnitaires se rattachant aux traitements automatisés de données à caractère personnel CRISTINA et FSPRT.

Par une ordonnance n° 458889 en date du 12 juillet 2022, le vice-président de la section du contentieux du Conseil d’Etat a attribué au tribunal administratif de Paris le jugement des conclusions de la requête de M. A B relatives aux fichiers ou parties de fichiers ne relevant pas de la sûreté de l’Etat.

Par une requête et un mémoire, ainsi enregistrés au greffe du tribunal les 23 juillet et 29 novembre 2022 sous le n° 2215821, M. E A B, représenté par Me C, doit être regardé comme demandant au tribunal :

1°) de condamner l’Etat à lui verser la somme totale de 7 000 000 d’euros en réparation des préjudices qui lui ont été causés par son fichage illégal dans plusieurs fichiers de renseignement ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

– il est fiché illégalement aux fichiers des services de renseignement territorial, au fichier des personnes recherchées (FPR) et au traitement automatisé de données du système national d’information Schengen (N-SIS II), ainsi qu’aux fichiers CRISTINA et FSPRT,

– ce fichage illégal méconnaît les articles 4 et 105 et suivants de la loi du 6 janvier 1978, l’article 801-1 du code de la sécurité intérieure, l’article 25 du règlement général sur la protection des données (RGPD), ainsi que les stipulations des articles 8 et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et celles de l’article 2 de son protocole n°4 ;

– ces illégalités constituent une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat,

– en toute hypothèse, ce fichage, même légal, engagerait sa responsabilité sans faute du fait du caractère anormal et spécial des préjudices qu’il subit,

– il sera fait une juste appréciation des troubles dans ses conditions d’existence en lien avec cette faute en les fixant à 3 000 000 d’euros, de sa perte de chance d’obtenir et de conserver un emploi en la fixant à 1 000 000 d’euros et de son préjudice moral en le fixant à

3 000 000 d’euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 novembre 2021 au greffe du tribunal administratif de Grenoble et le 4 octobre 2022 au greffe du présent tribunal, le ministre de l’intérieur et des outre-mer conclut, dans le dernier état de ses écritures :

1°) au rejet de la requête.

2°) à la suppression des passages injurieux, outrageants ou diffamatoires de la requête de M. A B.

Il soutient que :

– aucune faute n’est établie, la juridiction administrative ayant rejeté l’ensemble des recours de M. A B contre les refus de ses services de lui communiquer tout ou partie des fichiers de renseignement susceptibles de le concerner,

– en toute hypothèse, l’intéressé ne démontre pas l’existence ou l’étendue des préjudices qu’il invoque, non plus que leur lien de causalité avec un éventuel fichage,

– il ne démontre pas non plus que les opérations matérielles dont il ferait l’objet de la part des services de renseignement existeraient,

– certains passages des pages 4, 5, 6, 19 et 20 de la requête de M. A B constituent des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires et doivent donc être supprimés en vertu de l’article L. 741-2 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (règlement général sur la protection des données) ;

– le code de procédure pénale ;

– le code de la sécurité intérieure ;

– la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

– le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 ;

– le décret n° 2016-1956 du 28 décembre 2016 ;

– le décret n°2019-536 du 29 mai 2019 ;

– le décret n°2019-536 du 29 mai 2019 ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. D,

– les conclusions de Mme Pestka, rapporteure publique,

– et les observations de Me C pour M. A B.

Considérant ce qui suit

:

1. Par la présente requête, M. E A B, ressortissant tunisien né le 2 février 1982 à Bechri (Tunisie), doit être regardé comme demandant au tribunal de condamner l’Etat à l’indemniser des préjudices qui lui auraient été causés par le fichage dont il ferait l’objet, hors données intéressant la sûreté de l’Etat, aux fichiers des services de renseignement territorial, au fichier des personnes recherchées (FPR) et au traitement automatisé de données du système national d’information Schengen (N-SIS II).

Sur la responsabilité pour faute :

2. Par les jugements en date du 25 mars 2022 nos 2006505-2012565-2017724/6-1, n° 2007613/6-1, n° 2012564/6-1 et n° 2016613/6-1, lesquels sont depuis devenus définitifs, le présent tribunal n’a relevé aucune illégalité au regard des dispositions susvisées en ce qui concerne les informations concernant l’éventuelle inscription de M. E A B, en premier lieu, dans les fichiers des services du renseignement territorial, visés aux articles R. 236-1, R. 236-11 et R. 236-46 du code de la sécurité intérieure pour les données autres que celles intéressant la sûreté de l’Etat, en deuxième lieu, dans le fichier des personnes recherchées (FPR) pour les données autres que celles intéressant la sûreté de l’Etat, en troisième lieu, dans les fichiers du renseignement territorial mis en œuvre par la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris et visés aux articles R. 236-1 et R. 236-46 du code de la sécurité intérieure, et, en quatrième et dernier lieu, dans le traitement automatisé de données du système national d’information Schengen (N-SIS II).

3. Dans ces conditions et alors que M. A B ne fait pas valoir d’éléments nouveaux à l’appui de ses conclusions indemnitaires sur le fondement de la responsabilité pour faute de l’Etat, aucune faute de l’Etat concernant l’éventuel fichage de l’intéressé pour les données susmentionnées relevant de la compétence du tribunal ne résulte de l’instruction.

Sur la responsabilité sans faute :

4. M. A B fait valoir que le fichage dont il ferait l’objet aux fichiers mentionnés au point 1, à le supposer légal, est susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat sur le fondement de sa responsabilité sans faute. Toutefois, il ne démontre ni l’existence des préjudices qu’il invoque, constitués de troubles dans ses conditions d’existence, d’une perte de chance professionnelle et d’un préjudice moral, ni, a fortiori, le lien direct et certain entre ces préjudices et son éventuel fichage.

5. Dans ces conditions, le requérant n’est pas fondé à solliciter une indemnisation sur le fondement de la responsabilité sans faute de l’administration.

6. Il en résulte que les conclusions indemnitaires présentées par M. A B doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur l’application des articles L. 741-2 et L. 741-3 du code de justice administrative :

7. Aux termes du quatrième alinéa de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881, reproduits à l’article L. 741-2 du code de justice administrative : ” Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts. / Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l’action publique, soit à l’action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux et, dans tous les cas, à l’action civile des tiers. “. L’article L. 741-3 du code de justice administrative dispose : ” Si des dommages-intérêts sont réclamés à raison des discours et des écrits d’une partie ou de son défenseur, la juridiction réserve l’action, pour qu’il y soit statué ultérieurement par le tribunal compétent, conformément au cinquième alinéa de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ci-dessus reproduit. “.

8. Les passages de la requête introductive d’instance présentée pour M. A B et enregistrée au greffe du tribunal administratif de Grenoble le 30 avril 2021 consistant en ” – Le ministère de l’intérieur, en 2016, () alors même qu’il remplissait les conditions légales pour en obtenir un ; ” (p 4), ” Le ministère de l’intérieur a demandé à certains chefs d’entreprise et patrons () la même chose a été faite dans son appartement actuel comme dans ses anciens appartements (p 5-6), ” De même, l’acharnement des services de l’Etat s’illustrent [sic] aussi par le fait que () conduit également à altérer considérablement sa liberté d’expression ” (p19), ” Par ailleurs, le ministère de l’intérieur a demandé () alors même qu’il remplissait les conditions légales pour en obtenir un. ” (p 19) et ” Par ailleurs, le ministère de l’intérieur a demandé à certains chefs d’entreprise et patrons () () système social ” (p 20), de nature diffamatoire, excèdent la mesure de ce qui peut être toléré dans le cadre du débat contentieux. Il y a lieu par suite d’en prononcer la suppression.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A B est rejetée.

Article 2 : Les passages de la requête introductive d’instance présentée pour M. A B et enregistrée au greffe du tribunal administratif de Grenoble le 30 avril 2021 mentionnés au

point 8 sont supprimés.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. E A B et au ministre de l’intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l’audience du 10 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Marino, président,

M. Le Broussois, premier conseiller

M. Thulard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mars 2023.

Le rapporteur,

V. D

Le président,

Y. MarinoLe greffier,

A. Lemieux

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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