La demande d’identification des titulaires de comptes Google Ads (ordonnance sur requête) ne doit pas être disproportionnée sous peine d’être irrecevable.

Ordonnance sur requête ou en référé

L’article 145 du code de procédure civile dispose que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Affaire JCDecaux

La demande présentée par la société JCDecaux tendant à obtenir la communication des données d’identification de l’utilisateur à l’origine des liens Google Ads vers le site www.advertdaily.com / advertjournal.com a été rejetée.

L’auteur du compte Ad Words avait sélectionné les noms et prénoms des dirigeants de JCDecaux à titre de mots clefs afin de renvoyer le trafic vers le site advertdaily.com   

Périmètre trop étendu de l’ordonnance  

En visant des tiers – « toute personne ayant procédé à l’achat d’une combinaison des mots-clés » énumérés – lesquels ne se confondent pas nécessairement avec le ou les instigateurs du site www.advertdail.com – ces tiers n’étant d’ailleurs pas identifiés et ne faisant l’objet d’aucun indice accréditant leur participation aux faits litigieux – et tout service dépendant de Google, l’ordonnance entreprise a étendu les mesures ordonnées :

— au-delà de ce qui était demandé pour permettre l’identification de l’utilisateur à l’origine des liens Google Ads vers le site litigieux ;

— sans encadrement précis ni dans le temps – l’ordonnance se bornant à préciser que la mesure « s’applique à tout compte ayant procédé antérieurement à la date du 4 mars 2020 », ni dans leur objet.

Le deuxième chef de l’ordonnance ne reposant pas sur un motif légitime, la société JCDecaux a été déboutée de sa demande de ce chef.

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 3
ARRET DU 11 MAI 2022
 
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/05189 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFOHZ
 
Décisions déférées à la Cour :
 
Ordonnance du 04 Mars 2020 -Président du TC de PARIS – RG n° 2019069100
 
Ordonnance du 06 Janvier 2022 -Président du TC de PARIS – RG n° 2021058074
 
APPELANTE
 
Société GOOGLE IRELAND LTD de droit irlandais prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social
 
[Adresse 6]
 
[Adresse 5]
 
Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER – BEQUET – MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
 
Ayant pour avocat plaidant Me Julie ROUSSEL de l’AARPI R&R AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2562 substituée par Me Camille LOYER, avocat au barreau de PARIS
 
INTIMEES
 
S.A. JCDECAUX prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social
 
[Adresse 1]
 
[Localité 4]
 
Représentée par Me Anne-sophie POGGI de la SELARL POGGI AVOCATS IT, avocat au barreau de PARIS, toque : A0352
 
Ayant pour avocat plaidant Me Mathilde DEFFRENNES, avocat au barreau de PARIS, toque : A0352
 
S.A.R.L. GOOGLE FRANCE prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social
 
[Adresse 3]
 
[Localité 2]
 
Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER – BEQUET – MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
 
COMPOSITION DE LA COUR :
 
L’affaire a été débattue le 11 Avril 2022, en audience publique, rapport ayant été fait par M. Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre, conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s’y étant pas opposés.
 
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
 
Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre
 
Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre
 
Edmée BONGRAND, Conseillère
 
qui en ont délibéré,
 
Greffier, lors des débats : Meggy RIBEIRO
 
ARRÊT :
 
— CONTRADICTOIRE
 
— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
 
— signé par M. Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre, et par Saveria MAUREL, greffière présente lors de la mise à disposition.
 
*****
 
EXPOSÉ DU LITIGE
 
En 2019, a été créé, depuis la République Tchèque, un compte utilisé pour diffuser des liens Google Ads renvoyant vers les sites www.advertjournal.com et www.advertdaily.com et sélectionnant des mots-clés servant à déclencher des liens de référencement litigieux des termes correspondant aux identités des dirigeants et salariés de la société JCDecaux.
 
Par acte 15 octobre 2019, la société JCDecaux a assigné la société Google France devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins d’obtenir la suppression des liens Google Ads renvoyant vers le site www.advertjournal.com ainsi que la communication des données d’identification de l’utilisateur à l’origine de ces liens Google Ads vers ce site en vue d’un futur procès. La société Google Ireland Ltd est intervenue volontairement à l’instance.
 
Par ordonnance 4 mars 2020, le juge des référés a ordonné à la société Google Ireland Ltd de communiquer à la société JCDecaux :
 
— les données en sa possession susceptibles de permettre l’identification de toute personne ayant créé le ou les comptes Google Ads par l’intermédiaire desquels ont été diffusées les annonces litigieuses identifiées dans les procès-verbaux de constat d’huissier des 19, 20 et 27 novembre 2018 renvoyant vers le site www.advendailg.cog3 à savoir pour chaque compte Google Ads suivants :
 
* les nom et prénom ou dénomination sociale déclarés lors de la création du compte ;
 
* les nom et prénom du (ou des) signataires du ou des éventuel(s) mandats de paiements SEPA conservés par Google Ireland Ltd ;
 
* le(s) numéro(s) de téléphone adresse(s) postale(s) et adresse(s) de courriel(s) éventuellement renseigné(s) pour ce compte ;
 
* les données de logs (adresse IP de l’espace économique européen, horodatage) éventuellement enregistrées par Google Ireland Ltd lors des connexions les plus récentes au service Google Ads par tout utilisateur du compte ;
 
* ordonnons à la société Google Ireland Ltd dc ne pas communiquer la présente
ordonnance aux personnes visées ci-avant ;
 
— les données d’identification des données bancaires concernant “toute personne ayant procédé à l’achat , tant sur le moteur de recherche Google que sur la plate-forme Youtube ainsi que sur tout service dépendant du groupe Google, d’une combinaison de mots-clés suivants :
 
Sur requête de la société JCDécaux aux fins d’interprétation et de rectification de l’ordonnance du 4 mars 2020, le président du tribunal de commerce, par une ordonnance du 6 janvier 2022, a interprété le deuxième chef de l’ordonnance dans tes termes suivants : « interprétons le deuxième chef de notre ordonnance du 4 mars 2020 “ordonne de même à la société Google Ireland LTD de fournir au conseil de la société JCDecaux SA lesdites données concernant toute personne ayant procédé à l’achat, tant sur le moteur de recherche Google que sur la plateforme Youtube ainsi que sur tout service dépendant du groupe Google, d’une combinaison des mots- clés suivants […]” afin de préciser qu’il s’applique à tout compte ayant procédé antérieurement à la date du 4 mars 2020 à l’achat d’une partie ou de la totalité des mots-clés litigieux et notamment au compte Google Ads liés au site www.bigmedia.c »
 
Par déclaration du 28 et 30 mars 2022, la société Google Ireland Ltd a relevé appel l’ordonnance de référé du 4 mars 2020, telle qu’interprétée par l’ordonnance du 6 janvier 2022, aux fins d’obtenir l’annulation ou subsidiairement, l’infirmation de son deuxième chef.
 
Par dernières conclusions remises et notifiées le 11 avril 2022, elle demande à la cour de :
 
— déclarer recevable et fondé son appel ;
 
Y faisant droit,
 
— annuler ou à défaut, infirmer le deuxième chef de l’ordonnance de référé du Tribunal de commerce de Paris du 4 mars 2020 en ce qu’elle a statué :
 
« Ordonnons de même à la société de droit irlandais Google Ireland LTD de foumir au conseil de la SA JCDecaux lesdites données concernant toute personne ayant procédé à l’achat, tant sur le moteur de recherche Google que sur la plate-forme Youtube ainsi que surtout service dépendant du groupe Google, d’une combinaison des mots clés suivants :
 
Tel qu’interprété par l’ordonnance du 6 janvier 2022, qui lui a donné la portée suivante :
 
« Interprétons le deuxième chef de notre ordonnance du 4 mars 2020 ordonne de même à la societé Google Ireland LTD de fournir au conseil de la societé JCDécaux SA lesdites données concernant toute personne ayant procédé à l’achat, tant sur le moteur de recherche Google que sur la plateforme Youtube ainsi que sur tout service dépendant du groupe Google, d’une combinaison des mots- clés suivants […]” afin de préciser qu’il s’applique à tout compte ayant procédé antérieurement à la date du 4 mars 2020 à l’achat d’une partie ou de la totalité des mots-clés litigieux et notamment au compte Google Ads liés au site www.bigmedia.cz ».
 
En conséquence, statuant à nouveau,
 
— débouter la société JCDécaux de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
 
— condamner le société JCDécaux au paiement de la somme de 20.000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, au titre de l’article 696 du code de procédure civile.
 
Elle soutient que :
 
— le président du tribunal de commerce de Paris a prononcé au deuxième chef de son ordonnance une mesure d’instruction disproportionnée excédant manifestement les besoins du procès futur envisagé par la société JCDécaux et constituant une mesure générale violant l’article 5 du code civil ;
 
— l’ordonnance doit être annulée au visa de l’article 455 du code de procédure civile, faute de motivation ; en l’espèce, ladite ordonnance ne comporte aucune motivation claire et circonstanciée justifiant le prononcé d’une mesure affectant les tiers autres que les instigateurs du site litigieux, la seule motivation concerne la nécessité d’identifier les individus ayant sélectionné les mots clés Google Ads litigieux ; elle est également entâchée de contradiction : la motivation concerne la seule identification des instigateurs de la campagne Google Ads pour le site wwvv.advertdail.com, alors que le dispositif s’applique à l’ensemble des utilisateurs de l’intégralité des services Google ayant sélectionné tout ou partie des mots clés litigieux ;
 
— la mesure est dénuée de tout motif légitime en ce que l’intimée ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un litige futur potentiel à l’encontre d’utilisateurs autres que ceux à l’origine de la campagne Google Ads, elle ne démontre ainsi ni l’existence d’un litige potentiel, sur le fondement de celui ci à l’égard des tiers exploitant le site Internet www.bigmedia.com et a fortiori, de tout autre tiers potentiellement visé par le deuxième chef de l’ordonnance ;
 
— la mesure n’est pas nécessaire puisqu’elle a exécuté intégralement le premier chef de l’ordonnance litigieuse en communiquant les données d’identification et relatives aux cartes de crédits des utilisateurs ayant diffusé les annonces litigieuses et sont suffisantes pour tenter d’identifier les utilisateurs et pour préserver les droits de l’intimée dans un projet futur, l’intimée n’a jamais engagé la moindre action à l’encontre des opérateurs ;
 
— enfin, la mesure n’est pas légalement admissible en ce qu’elle constitue un mesure d’investigation générale, une obligation générale de rechercher des faits, ce qui est prohibé par l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, ainsi qu’une injonction d’ordre général prohibée par le code civil, en ce que :
 
la mesure est insuffisamment circonscrite dans le temps puisqu’elle concerne tout compte ayant procédé antérieurement au 4 mars 2020 à l’achat des mots-clés en cause et remontant donc à plus de 20 ans ;
 
elle est insuffisamment encadrée dans son objet, puisqu’elle implique de communiquer les données de toutes personnes ayant procédé à l’achat d’une partie ou de la totalité des mots-clés précités sur tout service dépendant du groupe Google, elle vise donc un groupe indéterminé et hypothétique de personnes, sans que cela soit justifié par la partie adverse ainsi que tout service dépendant de Google sans démontrer en quoi les services autres que Google Ads seraient susceptibles de permettre l’identification des instigateurs du site litigieux ;
 
elle est disproportionnée au but poursuivi puisqu’elle impose la communication d’un nombre conséquent de données à l’égard de l’intégralité des utilisateurs inscrits sur l’ensemble des services exploités par Google depuis leur création au 4 mars 2022, cela inclue notamment des données sensibles telles que les données bancaires ;
 
elle constitue une obligation générale de rechercher des faits, ce qui est contraire à l’article 15 de la directive 2000/31 sur le commerce éléctronique dont elle peut se prévaloir, elle lui impose une obligation générale de rechercher activement tout ou partie des mots-clés susvisés auprès de l’intégralité des utilisateurs sur l’ensemble des services Google, et ce depuis leur création.
 
La société JCDecaux, par conclusions remises le 8 avril 2022, demande de :
 
— débouter la société Google Ireland LTD de l’ensemble de ses demandes et prétentions ;
 
— confirmer en toutes leurs dispositions l’ordonnance de référé du Tribunal de commerce de Paris du 4 mars 2020 et l’ordonnance de référé du Tribunal de commerce de Paris du 6 janvier 2022 ;
 
— condamner la société Google Ireland LTD à verser à la société JCDecaux la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
 
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
 
MOTIFS
 
La présente instance ayant été enregistrée sous les numéros RG 22/05189 et 22/05411, il convient d’ordonner la jonction de ces deux procédures.
 
L’article 145 du code de procédure civile dispose que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».
 
La société Google Ireland LTD sollicite l’annulation ou à l’infirmation du deuxième chef de l’ordonnance de référé du 4 mars 2020 tel qu’interprété par l’ordonnance du 6 janvier 2022.
 
Sur la demande d’annulation
 
En se référant aux faits ayant conduit les sociétés JCDecaux SA à solliciter que la société Google Ireland Ltd lui communique les informations en sa possession permettant d’identifier la personne lui causant du tort, le premier juge a motivé sa décision. La société Google Ireland Ltd sera, en conséquence, déboutée de sa demande d’annulation du deuxième chef de l’ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Paris du 4 mars 2020 pour défaut de motivation.
 
Sur la demande d’infirmation
 
La mesure d’instruction ordonnée en application de l’article 145 du code de procédure civile doit répondre à un motif légitime tel qu’exposé par le demandeur, et être légalement admissible et proportionnée à l’objectif poursuivi.
 
La demande présentée par la société JCDecaux tendait essentiellement à obtenir la communication des données d’identification de l’utilisateur à l’origine des liens Google Ads vers le site wwvv.advertdail.com.
 
En visant des tiers – « toute personne ayant procédé à l’achat d’une combinaison des mots-clés » énumérés – lesquels ne se confondent pas nécessairement avec le ou les instigateurs du site www.advertdail.com – ces tiers n’étant d’ailleurs pas identifiés et ne faisant l’objet d’aucun indice accréditant leur participation aux faits litigieux – et tout service dépendant de Google, l’ordonnance entreprise a étendu les mesures ordonnées :
 
— au-delà de ce qui était demandé pour permettre l’identification de l’utilisateur à l’origine des liens Google Ads vers le site litigieux ;
 
— sans encadrement précis ni dans le temps – l’ordonnance du 6 janvier 2022 se bornant à préciser que la mesure « s’applique à tout compte ayant procédé antérieurement à la date du 4 mars 2020 », ni dans leur objet.
 
Le deuxième chef de l’ordonnance 4 mars 2020, tel qu’interprété par l’ordonnance du 6 janvier 2022, ne reposant pas sur un motif légitime, la société JCDecaux en sera déboutée de sa demande de ce chef. La décision déférée sera infirmée en ce sens.
 
PAR CES MOTIFS
 
Statuant dans la limite de l’appel,
 
Ordonne la jonction des procédures inscrites au rôle de la cour d’appel sous les numéros RG 22/05189 et 22/05411 et dit qu’elles se poursuivront sous le numéro 22/05189 ;
 
Déboute la société Google Ireland Ltd de sa demande d’annulation du deuxième chef de l’ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Paris du 4 mars 2020 ;
 
Infirme l’ordonnance 4 mars 2020 sur son deuxième chef, tel qu’interprété par l’ordonnance du 6 janvier 2022 ;
 
Statuant à nouveau de ce chef ;
 
Déboute la société JCDecaux de sa demande au titre du deuxième chef de l’ordonnance du 4 mars 2020 ;
 
Confirme l’ordonnance entreprise pour le surplus ;
 
Condamne la société JCDecaux aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;
 
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.
 
LE GREFFIER LE PRESIDENT
 

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