Il n’existe pas d’obligation systématique d’anonymiser les condamnations, par les éditeurs juridiques. La réutilisation des données publiques par les éditeurs n’est pas soumise à l’exigence d’une anonymisation préalable.

Affaire Doctrine.fr

Doctrine.fr a obtenu gain de cause contre un internaute revendiquant des dommages et intérêts conséquents pour défaut d’anonymisation (nom et adresse) d’une décision de condamnation le concernant.

Une cour administrative d’appel avait rejeté la requête de l’intéressé visant à contester la décision prise par le préfet de refuser d’échanger son permis de conduire camerounais contre un titre français équivalent, au vu du caractère contrefait du premier. La plateforme Doctrine.fr avait publié l’arrêt précité.

Code des relations entre le public et l’administration

En premier lieu, l’intéressé s’est prévalu en vain du Code des relations entre le public et l’administration. En effet, ce dernier n’est pas relatif aux obligations des sociétés commerciales de droit privé. L’article L312-1-2 cité renvoie ainsi expressément pour son application, aux publications réalisées par les administrations elles-mêmes. C’était au demeurant exactement le sens du courriel envoyé par le greffe de la cour administrative d’appel de Versailles qui mentionnait « Sachez que la CAA de Versailles, comme l’ensemble des juridictions administratives, ne met en ligne, sur les bases de données juridiques, que des arrêts anonymisés ».

Les développements du demandeur tendaient en réalité à confondre les obligations liées à la mise à disposition des décisions de justice judiciaire et administrative et celles liées à la réutilisation de ces données.

Open data public et données personnelles  

L’open data public, consiste à assurer la large mise à disposition par l’administration de ces données, en accès libre et gratuit, sous un format numérique facilement réutilisable. C’est le sens de la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique qui fait de l’ouverture des données publiques la règle.

Désormais, les administrations au sens large doivent publier en ligne dans un standard ouvert leurs principaux documents, y compris leurs codes sources, ainsi que leurs bases de données et les données qui présentent un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental.

Cette obligation concerne les administrations d’État, les collectivités locales de plus de 3 500 habitants, les établissements publics et les organismes privés chargés d’un service public, à l’exception des entités de moins de 50 agents ou salariés.

Dès lors, quand bien même cette loi prévoit que la diffusion de certains documents ne peut se faire que sous réserve d’anonymisation ou d’occultation des mentions touchant notamment à la vie privée et à des secrets protégés, force est de constater qu’une société commerciale, qui n’est pas une administration, n’y est pas astreint.

Si les décrets d’application de cette loi relatifs à l’ouverture des données de jurisprudence ne sont jamais parus, la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, également citée par le demandeur qui semble en faire, à tort, une transposition du RGPD, est revenue sur l’open-data des décisions de Justice, complétée par le décret n°2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives.

Si l’article L10 du code de justice administrative prévoit depuis notamment que « les nom et prénoms des personnes physiques mentionnées dans le jugement, lorsqu’elles sont parties ou tiers, sont occultés préalablement à la mise à la disposition du public », il ne s’agit là encore que d’une obligation mise à la charge des juridictions, et plus précisément, en l’espèce, du Conseil d’État, désigné par le décret précité comme « responsable de la mise à disposition du public, sous forme électronique, des décisions rendues par les juridictions administratives, dans les conditions définies à l’article L.10 et à la présente section ».

Il a été utilement rappelé que cette anonymisation des décisions n’est pas rendue obligatoire pour l’ensemble des communications de jurisprudences par l’administration, qui peuvent, outre cette mise à disposition au public en ligne, être adressées aux parties en cause ou à des tiers sous certaines conditions.

RGDP et réutilisation des données publiques  

La société Doctrine se livre à la réutilisation des données publiques, c’est-à-dire à l’utilisation des données publiques par des tiers à d’autres fins que celle de la mission de service public pour laquelle les documents ont été produits ou reçus.

Cette réutilisation n’est pas soumise à l’exigence d’une anonymisation préalable. En la matière le  RGPD ne comporte pas d’obligation générale d’anonymisation.

Seule une « Délibération portant recommandation sur la diffusion de données personnelles sur internet par les banques de données de jurisprudence », recommandation de la CNIL du 29 novembre 2001, « ESTIME QU’IL SERAIT SOUHAITABLE que les éditeurs de bases de données de décisions de justice librement accessibles sur des sites Internet s’abstiennent, dans le souci du respect de la vie privée des personnes physiques concernées et de l’indispensable « droit à l’oubli », d’y faire figurer le nom et l’adresse des parties au procès ou des témoins ».

Le non-respect de cette recommandation émanant d’une autorité administrative indépendante, dont le caractère non contraignant ressort tant de sa forme que de sa lettre, est insusceptible de caractériser une faute susceptible d’entraîner une condamnation judiciaire à paiement de dommages et intérêts.

En conséquence, en publiant l’arrêt en cause contenant les données personnelles du demandeur, la société DOCTRINE n’a commis aucun manquement aux textes précités.

Traitement de données personnelles  

En revanche, dès lors qu’elle traite des données personnelles non anonymisées, la société DOCTRINE est soumise à la législation relative à la protection des données et notamment au RGPD.

L’article 21 du RGPD dispose que « La personne concernée a le droit de s’opposer à tout moment, pour des raisons tenant à sa situation particulière, à un traitement des données à caractère personnel la concernant ». L’article 12 précise que « Le responsable du traitement fournit à la personne concernée des informations sur les mesures prises à la suite d’une demande formulée en application des articles 15 à 22, dans les meilleurs délais et en tout état de cause dans un délai d’un mois à compter de la réception de la demande ».

Coup de l’enveloppe vide

Toujours dans cette affaire et concernant le droit d’opposition, la société DOCTRINE avait reçu une enveloppe vide, ce dont elle s’était inquiétée auprès de l’expéditeur (par LRAR).

Conditions de l’atteinte à la vie privée

L’intéressé a également fait valoir, sans succès, une atteinte à sa vie privée par la publication de ses nom, prénoms et adresse.   

Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, toute personne, quelle que soit sa notoriété, sa fortune ou ses fonctions présentes ou à venir, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse. Toutefois, la diffusion d’informations déjà notoirement connues du public n’est pas constitutive d’atteinte au respect de la vie privée. Par ailleurs, l’article 10 de la même Convention garantit l’exercice du droit à l’information des organes de presse dans le respect du droit des tiers

La combinaison de ces deux principes conduit à limiter le droit à l’information du public d’une part, pour les personnes publiques, aux éléments relevant de la vie officielle, et d’autre part, aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifient une actualité ou un débat d’intérêt général.

Ainsi chacun peut s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de sa vie professionnelle ou de ses activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur sa vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.

En premier lieu, le nom patronymique et les prénoms, mentions d’état-civil donnant lieu à publicité, échappent par leur nature à la sphère de la vie privée.

S’agissant en revanche de l’adresse, sa divulgation peut caractériser une atteinte à la vie privée, sauf lorsqu’elle fait déjà l’objet d’une publication légale (domiciliation, création de société ou d’association …), ce qui était le cas en l’espèce.

__________________________________________________________________

République française

Au nom du Peuple français

TRIBUNAL

JUDICIAIRE

DE PARIS

17ème Ch. Presse-civile

N° RG 19/11986 – N° Portalis 352J-W-B7D-CQ4N E

D.M

Assignation du : 23 Juillet 2019

MINUTE N°:

JUGEMENT rendu le 18 Mai 2022

DEMANDEUR

A Z (…) (bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2018/014890 du 21/01/2019 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Paris) représenté par Me Stéphane FOLACCI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E2144

DEFENDERESSE

S.A.S. FORSETI 24 rue du Mail 75002 PARIS représentée par Me Adrien AULAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0808

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Magistrats ayant participé au délibéré :

Delphine CHAUCHIS, Première vice-présidente adjointe Présidente de la formation

Amicie JULLIAND, Vice-présidente David MAYEL, Juge Assesseurs

GREFFIER :

Virginie REYNAUD, Greffier aux débats et à la mise à disposition

DEBATS

A l’audience du 09 Mars 2022 tenue publiquement devant David MAYEL, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les parties, en a rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du code de procédure civile.

JUGEMENT

Mis à disposition au greffe Contradictoire En premier ressort

Vu l’assignation délivrée à la demande d’A Z, le 23 juillet 2019, à la société FORSETI, qui sollicite, au visa des articles 38 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978, 8 de la Convention européenne des droits, 9 et 1240 du code civil :

– de dire que la défenderesse a violé ces dispositions,

– de dire que la publication des informations à caractère personnel du demandeur sur le site internet de doctrine.fr a mis ce dernier, réfugié politique, en situation de danger avec un risque d’atteinte à son intégrité physique,

– de dire que cette exposition lui crée un préjudice moral dont la société FORSETI doit réparation, Par conséquent :

– d’ordonner la cessation de la publication de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles du 15 septembre 2019 sur le site doctrine.fr sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de la décision à venir,

– de condamner la société FORSETI à lui verser la somme de 12.000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à sa vie privée et mise en danger de sa personne, en réparation de son préjudice moral,

 – de prononcer l’exécution provisoire du jugement à intervenir,

– de condamner la société FORSETI à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l’instance qui seront recouvrés par M X conformémente aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Vu la décision du juge de la mise en état du 16 juin 2021, rejetant les demandes de la société FORSETI, l’incident de communication de pièces étant devenu sans objet,

Vu les conclusions en demande n°3 d’A Z, notifiées le 19 octobre 2021, dont l’évolution des prétentions justifie le rappel intégral, ce au visa d’un ensemble mêlé de jurisprudences nationales et européennes et de textes divers : À titre principal

– de le déclarer recevable et bien fondé,

– de débouter la société défenderesse de ses demandes « en tant que sans fondement »,

– de la condamner à lui verser 30.000 euros « à titre de dommages et intérêts en réparation des l’ensemble des préjudices causés par la publication illicite de ses données à caractère personnel et la mise en danger de sa personne physique »,

– de la condamner à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 2° du code de procédure civile et aux dépens de l’instance qui seront recouvrés par M Y conformément aux dispositionse de l’article 699 du code de procédure civile,

– d’ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir, À titre subsidiaire

– de débouter la société défenderesse de ses demandes,

Vu les conclusions en défense n°3, notifiées le 02 novembre 2021 par la société FORSETI, qui demande au tribunal :

– à titre principal, de débouter le demandeur de sa prétention indemnitaire, en l’absence de manquement et de faute,

– à titre subsidiaire, de débouter le demandeur de sa prétention indemnitaire, faute de démonstration « d’un quelconque préjudice réparable causé par la société » défenderesse,

– à titre infiniment subsidiaire, de ramener la condamnation à l’euro symbolique,

– en tout état de cause, de débouter le demandeur de toutes ses autres demandes,

– à titre reconventionnel, de le condamner à verser à la société défenderesse « la somme de 15 229,74 euros (pour les conclusions en défense sur le fond et les audiences de mise en état, de plaidoirie sur l’incident et de plaidoirie sur le fond) et 1 000 euros (pour les conclusions d’incident) » au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,

Page 3

Vu l’ordonnance de clôture prononcée le 15 décembre 2021,

L’affaire a été appelée à l’audience du 9 mars 2022. Après les plaidoiries des conseils des parties l’affaire a été mise en délibéré au 18 mai 2022, par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les faits

A Z, d’origine camerounaise, a le statut de réfugié en France (sa pièce n°1). Il expose que ce statut lui a été octroyé en raison de son activité politique au Cameroun, qu’il continue à travers une association qu’il a créé, UNION DEMOCRATIQUE DES OPPOSANTS CAMEROUNAIS (UDOC) (sa pièce n°2).

Le 15 septembre 2009 la cour administrative d’appel de Versailles a rendu un arrêt confirmatif par lequel elle rejette sa requête visant à contester la décision prise par le préfet de Val-d’Oise de refuser d’échanger son permis de conduire camerounais contre un titre français équivalent, au vu du caractère contrefait du premier (pièce n°10 en demande).

La société FORSETI, dont le nom commercial est DOCTRINE, créée en 2016, est l’éditrice du site internet doctrine.fr et a pour objet le traitement et la diffusion de la donnée, notamment juridique (pièce n°1 en défense – extrait K-bis).

Il est constant que lorsque l’arrêt précité a été publié sur ce site, le nom du demandeur (B A Z) et son adresse ([…] ) y figuraient initialement.

Le demandeur fournit à ce titre une impression d’un courriel daté du 25 février 2019, à l’intérieur duquel se trouve des clichés, d’assez mauvaise qualité, d’un écran d’ordinateur montrant une page internet où l’on parvient à distinguer le nom du demandeur (pièce n°3).

C’est dans ces conditions qu’a été délivrée la présente assignation.

Sur les demandes

Il ne peut qu’être constaté une évolution notable du litige depuis la délivrance de l’assignation du 23 juillet 2019 qui visait à « la cessation de la publication de l’arrêt » en vertu du droit d’opposition institué à l’article 38 de la loi « informatique et libertés » et à une condamnation à des dommages et intérêts, du chef notamment de l’article 9 du code civil qui protège le droit à la vie privée.

Le dispositif des dernières conclusions vise désormais les textes suivants au soutien des demandes : « Vu l’article 12 de la Déclaration Universelle de Droits de l’Homme ;

Vu la Convention de Genève de 1951 sur le statut de réfugié ;

Vu notamment l’article 8 de la CEDH

Vu l’article 7 et 47 de la charte des droits fondamentaux (sic) de l’Union Européenne

Vu les articles 4 et 7 du RGPD de l’Union Européenne

Vu la jurisprudence (Cass. civ. 1, 30/05/2000, Légipresse 174, III, 137),

Vu la jurisprudence (Cass. civ. 1, 12/12/2000, Dalloz 2001, som. com. page 1987, obs. C. Caron).

Vu le Conseil Constitutionnel 23 juillet 1999 sur le fondement de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; Arrêt du 13 mai 2014 (grande chambre), Google Spain et Google (C- 131/12,EU:C:2014:317) Arrêt du 19 octobre 2016, Breyer (C-582/14, EU:C:2016:779)

Vu les dispositions du RGPD

Vu notamment la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978,

Vu notamment la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016,

Vu notamment les articles 9 et 1240 du code civil ».

Ainsi qu’il a été rappelé supra, outre les demandes accessoires et le rejet des prétentions adverses, une unique demande principale est formulée dans le dispositif des dernières conclusions d’A Z : « CONDAMNER la société FORSETI à verser à Monsieur A Z la somme de 30.000 euros (trente mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation de l’ensemble des préjudices causés par la publication illicite de ses données à caractère personnel et la mise en danger de sa personne physique ».

Il sera considéré que cette demande de condamnation en paiement est fondée à la fois sur un manquement aux obligations légales de la société DOCTRINE dans la publication non anonymisée de l’arrêt du 15 septembre 2009 et sur une atteinte à la vie privée du demandeur, entraînant « la mise en danger de sa personne physique ».

Sur la publication de l’arrêt du 15 septembre 2009 sur le site doctrine.fr

La date de la publication de l’arrêt sur le site doctrine.fr fait l’objet d’un désaccord entre les parties.

Le demandeur, dont les conclusions sont en partie rédigées à la première personne, indique que la décision a été publiée en 2016, sans toutefois en justifier. S’il argue avoir écrit au directeur du site doctrine.fr (sa pièce n°5 – photocopie d’un courrier manuscrit) ainsi qu’à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL – sa pièce n°8) le 25 janvier 2018, force est de constater que la première pièce n’a aucune valeur probatoire et que la déclaration à la CNIL mentionne expressément « CNIL – formulaire plainte en ligne – créé le 01/10/2018 ». A Z produit enfin une demande de suppression adressée par courriel et par erreur au greffe de la cour administrative d’appel de Versailles le 18 septembre 2018 (pièce n°7-1). La défenderesse soutient que la décision a été publiée le 2 août 2018 et produit un constat d’huissier à ce titre (pièce n°9).

Alors qu’aux termes de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, le demandeur ne démontre pas en l’espèce que la publication de l’arrêt non anonymisé soit antérieure à la date du 2 août 2018, qui sera par conséquent retenue.

Sur l’exigence d’une anonymisation de la décision préalable à la publication

Le demandeur, après avoir mentionné l’article L312-1-2 du code des relations entre le public et l’administration soutient que l’anonymisation des décisions est « une obligation pour les éditeurs de bases de données juridiques » et que par conséquent « la SAS FORSETI y est soumise ».

Il expose, dans une autre partie de ses conclusions, que « à défaut de collecte loyale et d’anonymisation des décisions ou d’information de l’intéressé, le traitement des données réalisée par la société FORSETI ne respecte pas les obligations édictés par le RGPD » sans toutefois préciser lesquelles. Il est cependant mentionné à un autre endroit : « La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ( RGPD) a enfin réaffirmé l’impératif de protection de la vie privée des parties et le recours systématique à une occultation en préalable nécessaire à la publication d’une décision de justice ». Il ajoute dans le paragraphe suivant, après un développement sur le droit à l’oubli, que « La SAS FORSETI feint donc d’ignorer que depuis la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, les dispositions légales françaises ont été modifiées et qu’il est interdit de mettre à disposition du public des décisions de justice qui ne sont pas anonymisées, alors qu’elle est un professionnel de ce secteur ».

Force est de constater qu’aucun des nombreux textes évoqués par le demandeur ne sont applicables à la société défenderesse.

Ainsi que le laisse supposer son titre, le code des relations entre le public et l’administration n’est pas relatif aux obligations des sociétés commerciales de droit privé. L’article L312-1-2 cité renvoie ainsi expressément pour son application, aux publications réalisées par les administrations elles-mêmes. C’est au demeurant exactement le sens du courriel envoyé par le greffe de la cour administrative d’appel de Versailles, précité, qui mentionne « Sachez que la CAA de Versailles, comme l’ensemble des juridictions administratives, ne met en ligne, sur les bases de données juridiques, que des arrêts anonymisés ».

Les développements du demandeur tendent en réalité à confondre les obligations liées à la mise à disposition des décisions de justice judiciaire et administrative et celles liées à la réutilisation de ces données.

Il convient de rappeler que la première, aussi appelée open data public, consiste à assurer la large mise à disposition par l’administration de ces données, en accès libre et gratuit, sous un format numérique facilement réutilisable.

C’est le sens de la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, citée par le demandeur, qui fait de l’ouverture des données publiques la règle. Désormais, les administrations au sens large doivent publier en ligne dans un standard ouvert leurs principaux documents, y compris leurs codes sources, ainsi que leurs bases de données et les données qui présentent un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental. Cette obligation concerne les administrations d’État, les collectivités locales de plus de 3 500 habitants, les établissements publics et les organismes privés chargés d’un service public, à l’exception des entités de moins de 50 agents ou salariés.

Dès lors, quand bien même cette loi prévoit que la diffusion de certains documents ne peut se faire que sous réserve d’anonymisation ou d’occultation des mentions touchant notamment à la vie privée et à des secrets protégés, force est de constater que la société défenderesse, qui n’est pas une administration, n’y est pas astreint.

Si les décrets d’application de cette loi relatifs à l’ouverture des données de jurisprudence ne sont jamais parus, la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, également citée par le demandeur qui semble en faire, à tort, une transposition du RGPD, est revenue sur l’open-data des décisions de Justice, complétée par le décret n°2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives. Si l’article L10 du code de justice administrative prévoit depuis notamment que « les nom et prénoms des personnes physiques mentionnées dans le jugement, lorsqu’elles sont parties ou tiers, sont occultés préalablement à la mise à la disposition du public », il ne s’agit là encore que d’une obligation mise à la charge des juridictions, et plus précisément, en l’espèce, du Conseil d’État, désigné par le décret précité comme « responsable de la mise à disposition du public, sous forme électronique, des décisions rendues par les juridictions administratives, dans les conditions définies à l’article L.10 et à la présente section ».

Il sera utilement rappelé que cette anonymisation des décisions n’est pas rendue obligatoire pour l’ensemble des communications de jurisprudences par l’administration, qui peuvent, outre cette mise à disposition au public en ligne, être adressées aux parties en cause ou à des tiers sous certaines conditions.

La société DOCTRINE se livre à la réutilisation des données publiques, c’est-à-dire à l’utilisation des données publiques par des tiers à d’autres fins que celle de la mission de service public pour laquelle les documents ont été produits ou reçus.

Cette réutilisation n’est pas soumise à l’exigence d’une anonymisation préalable. Contrairement notamment à ce que soutient le demandeur, le RGPD ne comporte pas d’obligation générale d’anonymisation.

Comme le rappelle la société défenderesse, seule une « Délibération portant recommandation sur la diffusion de données personnelles sur internet par les banques de données de jurisprudence », recommandation de la CNIL du 29 novembre 2001, « ESTIME QU’IL SERAIT SOUHAITABLE que les éditeurs de bases de données de décisions de justice librement accessibles sur des sites Internet s’abstiennent, dans le souci du respect de la vie privée des personnes physiques concernées et de l’indispensable « droit à l’oubli », d’y faire figurer le nom et l’adresse des parties au procès ou des témoins ».

Le non respect de cette recommandation émanant d’une autorité administrative indépendante, dont le caractère non contraignant ressort tant de sa forme que de sa lettre, est insusceptible de caractériser une faute susceptible d’entraîner une condamnation judiciaire à paiement de dommages et intérêts.

En conséquence, en publiant le 2 août 2018 l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles du 15 septembre 2009 contenant les données personnelles du demandeur, la société DOCTRINE n’a commis aucun manquement aux textes précités.

En revanche, dès lors qu’elle traite des données personnelles non anonymisées, la société DOCTRINE est soumise à la législation relative à la protection des données et notamment au RGPD.

Sur le respect du Règlement général sur la protection des données

Le demandeur semble faire grief à la société défenderesse du maintien en ligne de ses données personnelles en ligne jusqu’à réception de l’assignation en Justice (« Il convient de rappeler que la société FORSETI avait en outre été déjà avertie par courrier de Monsieur Z du 25 janvier 2018 puis par LRAR de Monsieur Z du 9 octobre 2018 et qu’il a fallu l’assigner en justice pour qu’enfin elle procède à l’anonymisation de la décision » p.12 des dernières conclusions). Il indique notamment avoir envoyé deux courriers en vain, le 25 janvier 2018 puis par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) du 9 octobre 2018.

Contrairement dès lors à ce qu’estime la société défenderesse, il ne peut être considéré que le demandeur n’a pas repris « ses moyens et prétentions liés au droit d’opposition », et ce en dépit du manque de clarté des écritures en demande et de l’absence de toute référence à l’article 21 du RGPD.

Ce texte dispose que « La personne concernée a le droit de s’opposer à tout moment, pour des raisons tenant à sa situation particulière, à un traitement des données à caractère personnel la concernant ». L’article 12 précise que « Le responsable du traitement fournit à la personne concernée des informations sur les mesures prises à la suite d’une demande formulée en application des articles 15 à 22, dans les meilleurs délais et en tout état de cause dans un délai d’un mois à compter de la réception de la demande ».

En l’espèce, ainsi qu’il a été indiqué supra, aucune preuve de la transmission du courrier daté du 25 janvier 2018 n’est produite. Il sera rappelé pour mémoire qu’il a été prétendu dans un premier temps que ce courrier avait été envoyé par LRAR et que ce n’est qu’à l’occasion d’un incident de communication de pièce ayant donné lieu à la décision du juge de la mise en état du 16 juin 2021 qu’il a finalement été avancé que ce courrier avait été envoyé par lettre simple.

Plus encore, la société DOCTRINE relève que l’adresse figurant sur ce courrier était à l’époque « le siège social de la société MAJE, société de prêt-à-porter sans rapport aucun avec la présente affaire » et qu’elle « n’a quant à elle conclu une promesse de bail pour ce local que le 22 mai 2018 ». Elle produit (sa pièce n°27) le bail du 8 juin 2018 conclu entre la société MAJE et la société DOCTRINE pour la location des locaux à cette adresse et indique qu’elle n’en a pris effectivement possession que le 3 septembre 2018. Elle produit encore (sa pièce n°11) le contrat de bail des locaux qu’elle occupait à la date du 25 janvier 2018 au […].

Face à ces éléments de preuve, dont le tribunal ne peut que douter de son authenticité dans de telles conditions, le demandeur indique « que le greffe de la Cour Administrative d’Appel de VERSAILLES (que Monsieur Z avait parallèlement saisi) a indiqué que la société était bien domiciliée à cette adresse dans sa réponse du 20 septembre 2018… », ce qui est tout à fait inopérant, la société défenderesse n’ayant jamais contesté être domiciliée à cette adresse en septembre 2018.

Cette production est à mettre en rapport avec la pièce n°8 produite en demande, présentée également comme datant du 25 janvier 2018, mais dont l’horodatage automatique par la CNIL permet de constater qu’elle date du mois d’octobre de la même année.

S’agissant du courrier daté du 9 octobre 2018 (pièce n°6 en demande), force est de constater à sa lecture qu’il ne sollicite aucune opposition au traitement, mais exige le versement d’une somme de 30.000 euros. Il n’y a dès lors pas lieu de s’interroger sur la réalité de cet envoi, la société DOCTRINE déclarant avoir reçu une enveloppe vide, ce dont elle s’était inquiétée auprès de l’expéditeur, ce dont elle justifie (sa pièce n°13 – Lettre recommandée avec avis de réception envoyée à Monsieur Z par la société DOCTRINE le 18 octobre 2018), sans jamais recevoir de réponse.

Il sera dès lors constaté que la première demande d’opposition au traitement de ses données personnelles, effectivement transmise par le demandeur à la société défenderesse, est l’assignation du 23 juillet 2019. La société DOCTRINE a immédiatement procédé à l’occultation des nom, prénoms et adresse du demandeur dans la décision publiée, et lui a adressé dès le lendemain une lettre recommandée avec avis de réception pour l’en aviser (sa pièce n°6), ce qui n’est pas contesté.

Il sera dès lors jugé que la société DOCTRINE n’a commis aucune faute dans le traitement des données personnelles du demandeur.

Sur l’atteinte à la vie privée

Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, sa fortune ou ses fonctions présentes ou à venir, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse. Toutefois, la diffusion d’informations déjà notoirement connues du public n’est pas constitutive d’atteinte au respect de la vie privée. Par ailleurs, l’article 10 de la même Convention garantit l’exercice du droit à l’information des organes de presse dans le respect du droit des tiers

La combinaison de ces deux principes conduit à limiter le droit à l’information du public d’une part, pour les personnes publiques, aux éléments relevant de la vie officielle, et d’autre part, aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifient une actualité ou un débat d’intérêt général. Ainsi chacun peut s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de sa vie professionnelle ou de ses activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur sa vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.

En l’espèce, le demandeur estime que la publication de ses nom, prénoms et adresse porte atteinte à sa vie privée.

Il sera observé en premier lieu que le nom patronymique et les prénoms, mentions d’état-civil donnant lieu à publicité, échappent par leur nature à la sphère de la vie privée.

S’agissant en revanche de l’adresse, sa divulgation peut caractériser une atteinte à la vie privée.

La société défenderesse démontre cependant que le demandeur a déclaré son domicile (« Chez Monsieur Z A B (…) ») comme adresse d’une association créée par lui en 2006. Cette adresse figure en conséquence tant sur le site net1901.org, portail internet à destination des associations (pièce n°15 en défense), que sur le site journal- officiel.gouv.fr (pièce n°24 en défense).

Il est encore démontré par la société DOCTRINE que le demandeur a choisi de faire figurer son adresse comme siège social de l’entreprise « Z A » ce qui donne lieu à publicité tant sur le site Infogreffe (pièces n°69 et 70) que sur le site officiel du répertoire Sirene (pièce n°24). L’adresse apparaît ainsi « MONSIEUR Z A […] ».

Enfin sur le site du registre de transparence des lobbyistes auprès de la Commission européenne, le demandeur apparait comme inscrit en tant que lobbyiste sur des sujets liés aux droits humains au Cameroun. Cette fiche contient là encore l’adresse personnelle d’A Z (pièce n°24 en défense).

Contrairement à ce que soutient le demandeur, le fait qu’il n’ait jamais sollicité la publication sur Internet de cette information est anodin. Il s’agit, comme pour l’état-civil, de l’application d’une publicité légale liée aux activités que le demandeur a fait le choix d’exercer et d’une adresse qu’il a fait le choix de communiquer. En déclarant son domicile personnel comme le siège de ses associations et de ses activités professionnelles, le demandeur a fait sortir celui-ci de la sphère de la vie privée, de sorte qu’aucune atteinte ne peut être retenue.

A Z sera par conséquent débouté de l’intégralité de ses demandes.

Sur les autres demandes

L’article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est en principe condamnée aux dépens. Il y a en conséquence lieu de condamner A Z aux dépens.

L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il doit à ce titre tenir compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée et peut écarter pour les mêmes considérations cette condamnation.

Il serait inéquitable de laisser à la société FORSETI la charge des frais irrépétibles qu’elle a dû exposer pour la défense de ses intérêts. Celle-ci sollicite la somme de 15.229,74 euros dont elle justifie qu’ils correspondent aux honoraires exposés pour la rédaction des trois jeux de conclusions en défense sur le fond ainsi que pour les audiences de mise en état et de plaidoiries sur l’incident et sur le fond (pièce n°19 – état de facturation des conseils de la société).

Elle sollicite au même titre la somme supplémentaire de 1.000 euros au titre des frais exposés pour la rédaction des conclusions d’incident de communication de pièce dont elle expose, avec justesse, que « celui-ci n’a été rendu nécessaire que par le manque de diligence de Monsieur Z, qui non seulement a omis de communiquer l’ensemble de ses pièces à la société DOCTRINE, mais même ne s’est pas privé de demander la clôture de la mise en état sans avoir procédé à cette communication. Monsieur Z n’a pas même remédié à cette situation lorsque le conseil de la société DOCTRINE s’est rapproché de son conseil et lui a demandé communication des pièces manquantes par message RPVA le 28 juillet 2020, traduisant ainsi une négligence inexplicable quant à la procédure qu’il a lui-même choisi d’introduire » (dernières conclusions, p. 37).

Ces éléments justifient que, bien qu’A Z justifie avoir obtenu l’aide juridictionnelle dans le cadre de la présente instance (sa pièce n°18), ce qui infère de faibles revenus, il soit alloué à la défenderesse la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Déboute A Z de ses demandes,

Condamne A Z à payer à la société FORSETI la somme de trois mille euros (3.000 Ä) en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne A Z aux dépens.

Fait et jugé à Paris le 18 Mai 2022

Le Greffier Le Président

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