L’action de groupe de l’UFC Que choisir contre Google a été jugée recevable. L’association agit en réparation des préjudices moraux subis par 161 personnes physiques détentrices d’un équipement Android avec un compte Google, du fait de la violation de leur vie privée pour n’avoir pas obtenu leur consentement sur le recueil et le traitement des données personnelles en vue, notamment, de publicités ciblées.

Vie privée des possesseurs d’Android

Sont notamment en cause des atteintes à la vie privée par « l’obligation « anormale et intrusive » de détenir un compte Google pour pouvoir utiliser son téléphone » ; « l’enregistrement de conversations et le suivi de ses déplacements sur plusieurs années pour un consommateur, sans en avoir été informé au préalable » ; « l’accès par Google à sa position géographique pour une consommatrice alors même qu’elle a désactivé la géolocalisation de son appareil ».

L’article 826-4 du code de procédure civile

L’article 826-4 du code de procédure civile ne prescrit aucune autre exigence, la pertinence et la représentativité des cas individuels cités relevant du débat au fond, notamment sur le point de savoir si est rapportée la preuve que lesdits consommateurs sont concernés par les informations données relativement à la protection des données au regard des appareils possédés, de la date de création de leur compte, des paramètres choisis par ces consommateurs lors de cette création de compte, de l’usage fait de leurs comptes Google et de leur appareil, et du préjudice subi par chacun, par des pièces que le juge du fond examine alors et dont la production n’est pas prescrite à peine de nullité de l’assignation.

Conditions de l’action de groupe

L’action de groupe introduite en droit français par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation dite « loi Hamon » permet, en application de l’article L623-1 du code de la consommation, aux personnes qui placées dans une situation similaire ou identique ayant pour cause commune un manquement d’un ou des mêmes professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles, à l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services, d’être représentées en justice par une association représentative au niveau national et agréée en application de l’article L. 811-1 du même code.

La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du 21e siècle l’a ouverte, au-delà du droit de la consommation, à la lutte contre les discriminations en général et spécifiquement au travail, à la protection de l’environnement, à la santé publique, et à la protection des données personnelles.

C’est au regard de ce dernier champ que l’UFC Que Choisir revendique ouverte son action en l’espèce, sur le fondement de l’article 37 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Mentions spécifiques de l’assignation

Aux termes de l’article 826-4 du code de procédure civile en vigueur lors de l’assignation dont s’agit, outre les mentions prescrites aux articles 56 et 752, l’assignation expose expressément, à peine de nullité, les cas individuels présentés par le demandeur au soutien de son action. L’assignation doit ainsi permettre de préciser l’objet de la demande à travers les cas exposés, et fournir des éléments permettant de définir le groupe de consommateurs concernés et les critères de rattachement à ce groupe, dont la pertinence et la représentativité relèvent en revanche de la seule appréciation du juge du fond.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 11

ARRET DU 28 JANVIER 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/10496 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDZWV

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 07 Avril 2021 -Juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de PARIS – RG n° 19/08151

APPELANTES

Société GOOGLE LLC, société de droit américain

prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

94043 MOUNTAIN VIEW (ETATS-UNIS)

Société GOOGLE LIMITED, société de droit irlandais

prise en la personne de ses représentants légaux

X Building, Gordon House, […],

Dublin D04 E5W5 (IRLANDE)

r e p r é s e n t é e s p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,

assistées de Me Kami HAERI, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438 et Me Christine GATEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : J033

INTIMEE

Association UFC QUE CHOISIR

prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

représentée par Me Matthieu BOURGEOIS de la SELAS KGA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0110 COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Novembre 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Marion PRIMEVERT, Conseillère.

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Denis ARDISSON, Président de la chambre

Mme Marie-Sophie L’ELEU DE LA SIMONE, Conseillère

Mme Marion PRIMEVERT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Saoussen HAKIRI.

ARRÊT :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

– signé par M. Denis ARDISSON, Président de la chambre, et par Mme Saoussen HAKIRI, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties.

Il sera succinctement rapporté que l’UFC-Que Choisir est une association à but non lucratif, déclarée d’utilité publique, représentative et agréé comme association de défense des consommateurs au niveau national en application des dispositions de l’article L811-1 du code de la consommation.

La société GOOGLE LLC est une société de droit américain qui développe le moteur de recherche X ainsi que plusieurs services en ligne, dont un système d’exploitation pour les terminaux mobiles dénommé « Android ».

La société GOOGLE LTD est une filiale indirecte de GOOGLE LLC qui est située à Dublin en Irlande. Elle est le siège européen du groupe X.

A la suite de la sanction prononcée le 21 janvier 2019 par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) imposant une amende de 50 millions d’euros à la société GOOGLE LLC pour ses manquements aux règles européennes sur la protection et la circulation des données à caractère personnel, confirmée par le Conseil d’État le 19 juin 2020, l’association UFC Que Choisir a fait assigner par actes des 5 et 17 juillet 2019 les sociétés GOOGLE LLC et GOOGLE LTD devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de mise en conformité des traitements de données à caractère personnel et de réparation des préjudices moraux subis par les personnes physiques détentrices d’un équipement Android avec un compte Google du fait de la violation de leur vie privée pour n’avoir pas obtenu leur consentement sur le recueil et le traitement des données personnelles en vue, notamment, de publicités ciblées.

Vu l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 7 avril 2021, qui a :

– Dit l’exception de nullité de la citation soulevée par la société GOOGLE LLC et la société GOOGLE LTD recevable ;

– Rejeté l’exception de nullité ;

– Renvoyé l’affaire à l’audience de mise en état du 16 Juin 2021 à 09h00 qui se tiendra sous format dématérialisée ;

– Invité la société GOOGLE LLC et la société GOOGLE LTD à conclure au fond avant le 09 juin 2021 ;

– Condamné la société GOOGLE LLC et la société GOOGLE LTD à payer, chacune, à UFC 5.000 euros, en tout 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Réservé les dépens.

Vu l’appel interjeté par GOOGLE LLC et GOOGLE LTD le 4 juin 2021,

Vu l’article 455 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 5 novembre 2021 pour GOOGLE LLC et GOOGLE LTD par lesquelles elles demandent à la cour de :

Vu les articles 9, 11, 32-1, 56, 74, 135, 768, 826-4 (dans sa version applicable au litige) et 848 et suivants du Code de procédure civile,

Vu les articles 60 et suivants de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle,

Vu l’article 37 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés,

Vu l’article 1240 du Code civil,

– Juger que les pièces n° 1 à 31 de GOOGLE LLC et GOOGLE LTD ont été communiquées en temps utile à UFC et rejeter en conséquence la fin de non-recevoir formulée par UFC en lien avec ces pièces ;

– Confirmer l’ordonnance rendue par le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris le 7 avril 2021 en ce qu’elle :

* Dit l’exception de nullité de la citation soulevée par GOOGLE LLC et GOOGLE LTD recevable ;

* rejette la demande d’indemnisation formulée par UFC à l’encontre de GOOGLE LLC et GOOGLE LTD à raison du maintien de leur incident de procédure ;

– Infirmer l’ordonnance dont appel en ce qu’elle :

* Rejette l’exception de nullité de la citation soulevée par GOOGLE LLC et GOOGLE LTD ;

* Renvoie l’affaire à l’audience de mise en état du 16 juin 2021 à 09h00 qui se tiendra sous forme dématérialisée ;

* Invite GOOGLE LLC et GOOGLE LTD à conclure au fond avant le 9 juin 2021 ;

* Condamne GOOGLE LLC et GOOGLE LTD à payer, chacune, à UFC 5.000 euros, en tout 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

* Réserve les dépens.

Statuant à nouveau,

– Juger que l’assignation délivrée par UFC à GOOGLE LLC et GOOGLE LTD par actes des 5 juillet et 17 juillet 2019 ne contient pas d’exposé des cas individuels et d’exposé suffisant des moyens de fait ;

– Juger que ce vice cause un grief GOOGLE LLC et GOOGLE LTD qui ne sont pas à même de préparer leur défense ;

– Juger que les conclusions n° 1 de première instance de UFC au fond du 26 février 2020 n’ont pas régularisé cette nullité ;

– Juger que les pièces produites par UFC ne peuvent régulariser le vice affectant son assignation ou, subsidiairement, qu’elles ne l’ont pas régularisé ;

– Prendre acte du refus UFC de produire les éléments sollicités par GOOGLE LLC et GOOGLE LTD dans leur sommation de communiquer du 7 mai 2020 ;

En conséquence,

– Prononcer la nullité de l’assignation délivrée par UFC aux sociétés GOOGLE LLC et GOOGLE LTD par actes des 5 juillet et 17 juillet 2019, dans la procédure enrôlée au tribunal judiciaire de Paris sous le numéro de RG 19/08151 pour défaut d’exposé des cas individuels et défaut d’exposé des moyens de fait ;

– Débouter UFC de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– UFC au paiement d’une somme de 20.000 euros à chacune GOOGLE LLC et GOOGLE LTD sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– Condamner UFC aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL Lexavoué Paris Versailles, représentée par Maître Matthieu Boccon-Gibod, Avocat au Barreau de Paris, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats pour l’association UFC Que Choisir le 2 novembre 2021 par lesquelles elle demande à la cour de :

Vu, notamment, les textes précités et les pièces versées aux débats,

– Constater que la communication des pièces 1 à 31 à GOOGLE LLC et GOOGLE LTD a été réalisée tardivement en cause d’appel ;

– Confirmer l’ordonnance rendue par le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris le 7 avril 2021 en ce qu’elle a :

* Constaté qu’en tout état de cause, l’UFC a produit de nouvelles écritures et pièces produites au fond qui régularisent, si ceci était nécessaire, les moyens de nullité invoqués par GOOGLE LLC et GOOGLE LTD;

* Constaté que GOOGLE LLC et GOOGLE LTD, en toute hypothèse, ne fondent leur demande de nullité sur aucun texte et ne justifient d’aucun grief réel et recevable ;

* Rejeté l’exception de nullité de la citation soulevée par GOOGLE LLC et GOOGLE LTD;

* Rejeté la demande d’indemnisation formulée par GOOGLE LLC et GOOGLE LTD à l’encontre de UFC, pour procédure abusive ;

* Invité les sociétés GOOGLE LLC et GOOGLE LTD à conclure au fond ;

* Condamné GOOGLE LLC et GOOGLE LTD à payer, chacune, à UFC 5.000 euros, en tout 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

En conséquence,

– Ecarter des débats et dire irrecevables car communiquées tardivement les pièces 1 à 31 GOOGLE LLC et GOOGLE LTD ;

– Débouter GOOGLE LLC et GOOGLE LTD de l’intégralité de leurs demandes plus amples ou contraires formulées dans le cadre de leur appel ;

– Condamner solidairement GOOGLE LLC et GOOGLE LTD à verser chacune à l’UFC la somme de 10 000 euros, soit 20 000 euros en tout, au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile en cause d’appel ;

– Réserver les dépens du présent incident.

Vu l’avis de fixation de l’affaire à bref délai du 17 juin 2021 fixant l’audience au 23 septembre 2021 à 14h en application de l’article 905 du code de procédure civile,

Vu la demande de report de l’audience formée le 29 juin 2021,

Vu l’avis de report de la date d’audience du 5 juillet 2021 fixant celle-ci au 19 novembre 2021,

SUR CE, LA COUR,

Aux termes de l’article 795 du code de procédure civile, les ordonnances du juge de la mise en état sont susceptibles d’appel dans les quinze jours à compter de leur signification, lorsqu’elles statuent sur une exception de procédure.

A titre liminaire, il y a lieu de relever que ne sont pas critiquées devant la cour, celles-ci ne faisant l’objet d’aucune demande dans le dispositif des conclusions de l’une ou de l’autre partie, les dispositions de l’ordonnance du juge de la mise en état qui ont :

– dit l’exception de nullité de la citation soulevée par la société GOOGLE LLC et la société GOOGLE LTD recevable ;

– rejeté la demande d’indemnisation formulée par l’association UFC Que Choisir à raison du maintien de l’incident après la signification de ses conclusions au fond.

Sur les pièces 1 à 31 communiquées par les appelantes

Si en application de l’article 132 du code de procédure civile, la communication des pièces doit être spontanée y compris, en appel, pour les pièces déjà versées aux débats en première instance, l’objet de cette communication est de garantir un débat contradictoire des pièces concernées.

A ce titre il y a lieu de relever en l’espèce que les 31 pièces concernées par la demande tendant à les voir écarter des débats, ont été communiquées par les appelantes le 15 octobre 2021 (pièce 39 UFC) alors que dès le 16 septembre 2021, leur conseil avait demandé au conseil de l’intimé à être dispensé d’une nouvelle communication de ces pièces déjà communiquées en première instance (pièce 34 UFC) ; aucune réponse n’avait alors été retournée par l’UFC.

Ces pièces, déjà communiquées en première instance, concernent en outre pour la plupart de la jurisprudence ou des textes réglementaires et débats devant le parlement (pièces 2,5, 6,9, 10, 11, 12, 13, 14, 16, 17, 18, 19, 27, 28, 29, 30, 21) ou des pièces éditées par l’UFC elle-même (1, 3).

Ainsi, c’est dans le respect du débat contradictoire que l’UFC a pu conclure le 2 novembre.

Sa demande de voir les pièces 1 à 31 écartées des débats sera donc rejetée.

Sur la nullité de l’assignation

L’action de groupe introduite en droit français par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation dite « loi Hamon » permet, en application de l’article L623-1 du code de la consommation, aux personnes qui placées dans une situation similaire ou identique ayant pour cause commune un manquement d’un ou des mêmes professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles, à l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services, d’être représentées en justice par une association représentative au niveau national et agréée en application de l’article L. 811-1 du même code.

La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du 21e siècle l’a ouverte, au-delà du droit de la consommation, à la lutte contre les discriminations en général et spécifiquement au travail, à la protection de l’environnement, à la santé publique, et à la protection des données personnelles.

C’est au regard de ce dernier champ que l’UFC Que Choisir revendique ouverte son action en l’espèce, sur le fondement de l’article 37 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Aux termes de l’article 826-4 du code de procédure civile en vigueur lors de l’assignation dont s’agit, outre les mentions prescrites aux articles 56 et 752, l’assignation expose expressément, à peine de nullité, les cas individuels présentés par le demandeur au soutien de son action.

L’assignation doit ainsi permettre de préciser l’objet de la demande à travers les cas exposés, et fournir des éléments permettant de définir le groupe de consommateurs concernés et les critères de rattachement à ce groupe, dont la pertinence et la représentativité relèvent en revanche de la seule appréciation du juge du fond.

En l’espèce, les appelantes considèrent que l’assignation délivrée par l’UFC Que Choisir ne contient pas d’exposé des cas individuels et d’exposé suffisant des moyens de fait, ce défaut leur faisant grief dans la mise en oeuvre de leur défense, les conclusions au fond et les pièces de l’appelante n’étant pas de nature à régulariser ce vice qui doit dès lors selon elles conduire à la nullité de l’assignation.

En l’espèce l’assignation dont s’agit, délivrée à GOOGLE LLC et GOOGLE LTD en français et en anglais, contient en sa page 18 un paragraphe intitulé « l’exposé des cas individuels » qui vise la qualité de consommateurs des personnes citées, rappelle la décision de la CNIL du 21 janvier 2019, le fait que de nombreuses personnes se sont adressées à l’UFC pour défendre leurs intérêts et obtenir réparation de leur préjudice, et renvoie à une liste « non exhaustive et évolutive » communiquée en pièce n°11.

La pièce n°11, présentée sous forme de tableau, contient les noms et prénoms, l’adresse mel, la date de naissance, la confirmation de la détention d’un compte Google avec son année de création et d’un appareil Android, la nature de ce dernier appareil (tablette, téléphone..), la marque et le modèle de l’équipement, et ce pour 161 personnes.

Si les appelantes relèvent à juste titre que le détail de ces 161 cas n’est cependant pas exposé dans l’assignation elle-même comme le requiert expressément l’article 826-4 du code de procédure civile, c’est à bon droit que le juge de première instance a retenu qu’en vertu de l’article 115 du même code, la nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l’acte si aucune forclusion n’est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief.

Or par conclusions du 27 février 2020 l’UFC (pièce 24 UFC) a repris en page 19, les noms et prénoms de 145 consommateurs parmi les 161 initialement listés tout en revoyant à sa pièce 23, et détaillé 4 cas singuliers reprenant : le nom, le prénom, la date de naissance, la profession, le modèle d’appareil Android précisément indiqué, l’adresse du compte X possédé, et le grief singulier que chacun de ces consommateurs élève à l’encontre de X à savoir :

– l’obligation « anormale et intrusive » de détenir un compte Google pour pouvoir utiliser son téléphone (cas 1),

– l’enregistrement de conversations et le suivi de ses déplacements sur plusieurs années pour un consommateur, sans en avoir été informé au préalable (cas 2),

– la réception de demandes d’avis sur des lieux fréquentés et des propositions commerciales incessantes lors de recherches sur internet (cas 3),

– l’accès par Google à sa position géographique pour une consommatrice alors même qu’elle a désactivé la géolocalisation de son appareil (cas 4).

Contrairement à ce qu’indiquent les sociétés GOOGLE LLC et GOOGLE LTD, ces 4 cas individuels sont identifiés et identifiables, au regard des exigences posées par l’article 826-4 du code de procédure civile.

Par ailleurs l’exposé précis des griefs invoqués par ces 4 consommateurs, est précédé du rappel de la décision de la CNIL (pièce 3 UFC). Or celle-ci a relevée en sa page 14 que « l’architecture générale de l’information choisie par la société ne permet pas de respecter les obligations du Règlement » (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données dit « RGPD »), tout en précisant que « les informations qui doivent être communiquées aux personnes en application de l’article 13 (RGPD) sont excessivement éparpillées dans plusieurs documents (‘) entraînant une fragmentation des informations, obligeant l’utilisateur à multiplier les clics (‘) et à consulter attentivement une grande quantité d’informations avant de pouvoir identifier le ou les paragraphes pertinents ». La CNIL donne ainsi l’exemple, toujours en page 14 de sa décision (pièce 3 UFC), des traitements de personnalisation de la publicité évoqués par le cas individuel n°3, ainsi que le traitement des données de géolocalisation évoqués par les cas individuels 2, 3 et 4.

L’exposé des 4 cas individuels et de la décision de la CNIL expliquent la demande principale formée par l’UFC au fond, devant le tribunal judiciaire, d’ « ordonner la mise en conformité de leurs traitements de données à caractère personnel par les sociétés GOOGLE LLC et GOOGLE LTD, à savoir la mise en conformité de leurs mentions d’information exigées par les articles 13 et 14 du RGPD, ainsi que des modalités de recueil du consentement et de cesser de collecter des données de géolocalisation en dehors de toute utilisation d’un service qui le requiert, dans un délai de six (6) mois à compter de la date à laquelle la décision à intervenir sera rendue, et sous astreinte de 100 000 euros par jour de retard et jusqu’à complète et parfaite mise en conformité de celles-ci » et de réparer le préjudice subi par chaque consommateur concerné.

C’est donc sans difficulté que les défenderesses à l’instance au fond ont pu organiser leur défense, en disposant :

– de ces 4 cas individuels détaillés dans les conclusions régularisant l’assignation,

– complétés sans qu’ils constituent des cas individuels au sens de l’article 824-6 du code de procédure civile en effet, par la liste de plus de 100 consommateurs concernés ayant sollicité l’UFC pour être représentés dont les identités complètes, matériels détenus et pour la très grande majorité de ceux-ci l’année de création de leur compte X sont reportés dans la pièce 23 de l’UFC,

– et du développement des moyens de faits et de droit de l’UFC visant notamment la décision de la CNIL confirmée par le Conseil d’État, en lien avec les cas individuels décrits. La mise en ligne par l’UFC d’un formulaire incitant à participer à l’action de groupe n’est ni interdite par la loi, ni enserrée dans des délais particuliers.

Par ailleurs le fait que le législateur ait souhaité confier les actions de groupe aux seules associations agréées témoigne de sa volonté d’organiser ce recours juridictionnel et l’exigence de description de cas individuels, particulière à l’action de groupe, s’explique par l’obligation qu’il y a pour l’association agréée de porter la parole des consommateurs concernés et de témoigner de celle-ci devant la juridiction saisie, tout en garantissant le respect des droits de la défense et le principe de la contradiction. Ces deux exigences permettent de s’assurer qu’il existe bien réellement plusieurs consommateurs permettant de définir le cadre de cette action, la nullité de l’assignation sanctionnant la présentation lacunaire ou insuffisante des cas individuels concernés. En revanche, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, elles n’imposent pas que ces cas individuels soient présentés lors des mises en demeure antérieures à l’assignation.

L’article 826-4 du code de procédure civile ne prescrit aucune autre exigence, la pertinence et la représentativité des cas individuels cités relevant du débat au fond, notamment sur le point de savoir si est rapportée la preuve que lesdits consommateurs sont concernés par les informations données relativement à la protection des données au regard des appareils possédés, de la date de création de leur compte, des paramètres choisis par ces consommateurs lors de cette création de compte, de l’usage fait de leurs comptes Google de leur appareil, et du préjudice subi par chacun, par des pièces que le juge du fond examine alors et dont la production n’est pas prescrite à peine de nullité de l’assignation.

Les contradictions que pointent les sociétés GOOGLE LLC et GOOGLE LTD dans les modèles d’appareils Androïd possédés par les consommateurs constituant les 4 cas individuels relèvent de cette preuve, au fond et faute pour ces sociétés de démontrer que le modèle détenu et la version Androïd installée ont une incidence telle sur la protection des données appliquée que les cas individuels ainsi décrits dans les conclusions du 27 février 2020 régularisant l’assignation, ne pourraient pas, en l’état de la description fournie, correspondre à des consommateurs réels invoquant un préjudice en lien avec l’action de l’association agréée, la demande de nullité de l’assignation doit être rejetée et l’ordonnance du juge de la mise en état confirmée de ce chef.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

GOOGLE LLC et GOOGLE LTD succombant à l’action, il convient de confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état en ce qu’il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

Statuant de ces chefs en cause d’appel, GOOGLE LLC et GOOGLE LTD dont les demandes sont rejetées, seront condamnées in solidum aux dépens en application de l’article 696 du code de procédure civile.

Eu égard à la condamnation aux dépens de l’appel, GOOGLE LLC et GOOGLE LTD seront condamnées chacune et in solidum à payer à l’association UFC Que Choisir la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles, soit au total 10.000 euros, en application de l’article 700 du même code.

PAR CES MOTIFS,

Déboute l’association UFC Que Choisir de sa demande tendant à voir les pièces 1 à 31 des appelantes écartées des débats,

Confirme l’ordonnance du juge de la mise en état en ses dispositions déférées à la cour,

Y ajoutant,

Condamne in solidum les sociétés GOOGLE LLC et GOOGLE LTD aux dépens,

Condamne in solidum les sociétés GOOGLE LLC et GOOGLE LTD à payer à l’association UFC Que Choisir la somme de 5.000 euros (cinq mille euros), soit 10.000 (dix mille) euros en tout, au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

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