Une salariée, gestionnaire paie et administration du personnel chez Guerlain, a été licenciée pour avoir divulgué le montant des primes accordées à d’autres salariés.   La divulgation d’obligations confidentielles détenues par la salariée dans l’exercice de ses fonctions constitue une faute suffisamment grave pour justifier son licenciement mais qui ne rendait pas impossible, au regard de son ancienneté et de son absence d’antécédents, son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRET DU 16 JUIN 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/02286 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7JX7

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Janvier 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 18/04118

APPELANTE

Madame D X

[…]

[…]

Représentée par Me Karim HAMOUDI, avocat au barreau de PARIS, toque : E0282

INTIMEE

SAS GUERLAIN Prise en la personne de ses représentants légaux

68 Avenue des Champs-Elysées

[…]

Représentée par Me Céline BEAUVAIS, avocat au barreau de PARIS, toque : D0404

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Mai 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Françoise SALOMON, présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre

Mme Graziella HAUDUIN, présidente de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

Greffier : Mme Anouk ESTAVIANNE, lors des débats

ARRÊT :

— contradictoire

— mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

— signé par Madame Françoise SALOMON, présidente et par Madame Anouk ESTAVIANNE, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat du 16 février 2005 à effet au 1er février, la société Guerlain Paris a engagé Mme X en qualité de gestionnaire paie et administration du personnel, avec une reprise de son ancienneté au 1er juin 2004.

La société emploie plus de onze salariés et applique la convention collective nationale des industries chimiques et connexes du 30 décembre 1952.

Convoquée le 15 mars 2018 à un entretien préalable fixé au 23 mars, avec mise à pied conservatoire, la salariée a été licenciée pour faute grave le 30 mars.

Contestant le bien-fondé de son licenciement, elle a saisi la juridiction prud’homale le 5 juin suivant.

Par jugement du 14 janvier 2019, le conseil de prud’hommes de Paris a requalifié son licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné en conséquence l’employeur au paiement des sommes suivantes, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :

—  2 669,99 euros de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire, outre 266,69 euros au titre des congés payés afférents,

—  12 726,90 euros d’indemnité compensatrice de préavis et 1 272,69 euros au titre des congés payés afférents,

—  32 487,46 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement,

—  2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le conseil a ordonné la remise d’un certificat de travail, d’une attestation Pôle Emploi et d’un bulletin de paie rectifiés et a rejeté le surplus des demandes.

La salariée a interjeté appel de cette décision le 30 janvier 2019.

Par conclusions transmises par voie électronique le 11 mars 2019, l’appelante demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société intimée au paiement des indemnités de rupture et d’un rappel de salaire pendant sa mise à pied ainsi qu’à 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il a ordonné la remise des documents de fin de contrat mais de l’infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, de dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de condamner en conséquence l’intimée à lui payer 48 944 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles, ainsi qu’aux dépens.

Par conclusions transmises le 5 juin 2019 par voie électronique, l’intimée sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a condamnée au paiement des indemnités de rupture et d’une somme au titre de

l’article 700 du code de procédure civile et, statuant à nouveau, de débouter l’appelante de toutes ses demandes et de la condamner à lui verser 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction est intervenue le 6 avril et l’affaire a été fixée à l’audience du 6 mai.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

L’employeur qui invoque la faute grave doit en rapporter la preuve.

En l’occurrence, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée ainsi :

‘Vous occupez au sein de notre société le poste de gestionnaire de paie et administration du personnel depuis le 1er juin 2004.

Vous avez la responsabilité d’accueillir les nouveaux embauchés, d’établir les contrats de travail des salariés du siège, d’administrer tous les éléments relatifs aux dossiers des salariés et de gérer la paie.

Dans ce cadre, vous avez accès à l’ensemble des données personnelles et de rémunération concernant les collaborateurs de la Maison Guerlain.

Ces informations sont strictement confidentielles et vous devez, avec nous, garantir cette confidentialité à nos salariés.

Vous savez qu’il est donc crucial et inhérent à vos fonctions que vous respectiez avec la plus grande rigueur cette confidentialité et que nous puissions compter, au vu de votre séniorité, sur votre fiabilité en toute situation.

Pourtant le 14 mars dernier, Madame F A, déçue de ne pas percevoir de prime cette année, a fait part à son manager de son mécontentement et du fait qu’elle savait très bien que d’autres personnes obtenaient ce qu’elles souhaitaient ‘en râlant!’. Elle a précisé que vous lui aviez dit que l’année dernière G-H Y avait reçu une prime supplémentaire de 1 500 euros en procédant ainsi.

En divulguant ainsi à une salariée le montant d’une prime allouée à une autre de nos salariées, vous n’avez pas respecté la confidentialité des informations dont vous êtes détentrice, ce qui est une faute professionnelle grave.

De plus, vous avez jugé utile d’expliquer à Madame F A qu’il suffisait de ‘râler’ auprès de son manager pour obtenir la prime souhaitée, prenant ‘l’exemple’ de Madame Y, dont pourtant les conditions d’attribution de prime n’ont pas du tout été celles que vous décrivez.

En diffusant auprès de nos collaborateurs un tel message, vous mettez à mal, de manière extrêmement grave, la confiance qu’ils ont et doivent avoir en l’appréciation de leur manager et en notre système d’octroi des primes.

Vous colportez l’existence d’une pratique qui est fausse, qui porte atteinte à la crédibilité, au sérieux de notre service RH et à l’image de notre Maison.

Nous ne pouvons tolérer de votre part de tels écarts et manquements à vos obligations dont la gravité et les conséquences rendent impossible la poursuite de notre collaboration, y compris pendant le préavis.’

L’employeur justifie de la matérialité des faits par la production du courriel et d’une attestation de Mme Z, supérieure hiérarchique de Mme A, l’attestation de Mme B, l’échange de mails entre Mme C et la salariée relativement à la prime octroyée à Mme A et l’organigramme de la direction des ressources humaines. La divulgation d’obligations confidentielles détenues par la salariée dans l’exercice de ses fonctions constitue une faute suffisamment grave pour justifier son licenciement mais qui ne rendait pas impossible, au regard de son ancienneté et de son absence d’antécédents, son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis.

La cour confirme le jugement en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave de la salariée en licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera également confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur au paiement des sommes suivantes, non contestées :

—  2 669,99 euros de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire, outre 266,69 euros au titre des congés payés afférents,

—  12 726,90 euros d’indemnité compensatrice de préavis et 1 272,69 euros au titre des congés payés afférents,

—  32 487,46 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement.

Il convient de rappeler que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception, par l’employeur, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes, et les créances indemnitaires à compter du jugement.

La cour confirme également le jugement en ce qu’il a ordonné la remise d’un certificat de travail, d’une attestation Pôle Emploi et d’un bulletin de salaire récapitulatif rectifiés.

Sur les autres demandes

L’équité commande de laisser chacune des parties supporter ses frais irrépétibles d’appel.

L’employeur, qui succombe principalement, supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception, par la société Guerlain, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes, et les créances indemnitaires à compter du jugement ;

Dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en

cause d’appel ;

Condamne la société Guerlain aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

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